Quelle Europe pour demain : les nouveaux défis du commerce agricole

 - Illustration Quelle Europe pour demain : les nouveaux défis du commerce agricole
À l’occasion de son assemblée générale, Cogedis a convié Elvire Fabry, experte en politique commerciale à l’institut Jacques Delors et Vincent Chatellier, ingénieur de recherche à l’Inra, spécialiste des économies des filières agricoles. Les deux chercheurs ont présenté leur analyse sur l’avenir agricole de l’Union européenne.

Quelle est la place de l’Union européenne dans le commerce mondial ?

Elvire Fabry : L’Union européenne occupe la première place et ce, malgré la percée qu’accomplit la Chine sur le marché des biens. Avec une balance commerciale positive, l’UE est également la première puissance d’exportation agricole, devant les États-Unis. Mais, avec l’offensive protectionniste de Donald Trump et les distorsions commerciales chinoises, le commerce international traverse des turbulences.

Vincent Chatellier : Concernant les produits agroalimentaires, le commerce mondial s’est, depuis cinquante ans, développé à un rythme proche de 4 % par an. En dépit de cet essor, les produits agroalimentaires pèsent de moins en moins dans le commerce total (57 % en 1950, seulement 9 % en 2018). En agroalimentaire, l’UE est la zone qui échange le plus au monde. Cela est vrai pour les exportations (vins et spiritueux, produits laitiers, céréales, viande porcine…) mais aussi pour les importations (poissons, fruits comestibles, café…).

La Chine est-elle un partenaire stratégique pour l’UE et la France ?

Elvire Fabry : Les Européens peinent à adopter une stratégie commune face au vaste projet de « route de la soie », lancé par Xi Jinping en 2013. Les États membres réagissent de manière désordonnée vis-à-vis de l’offre d’investissements chinois. Depuis le printemps, la Commission européenne met ainsi en place une stratégie à la fois plus défensive pour protéger le marché unique et plus offensive pour obtenir plus de réciprocité dans l’ouverture du marché chinois. Les exportations agricoles européennes pourraient notamment tirer parti du développement des moyens logistiques entre la Chine et l’UE.

Vincent Chatellier : Malgré une production agricole abondante dans certains secteurs (dont riz et viande porcine), le solde agroalimentaire de la Chine se creuse pour représenter -51 milliards d’euros en 2018. L’essor démographique, l’urbanisation galopante, la transformation des régimes alimentaires (hausse des besoins en protéines animales) et les faibles disponibilités en terres arables sont les principaux moteurs de cette évolution. L’UE est le troisième fournisseur de la Chine en produits agroalimentaires (14 % des importations) derrière le Brésil (19 %) et les États-Unis (19 %). Les principaux produits exportés sont les produits laitiers, les boissons et la viande porcine.

Et qu’en est-il des accords bilatéraux engagés par l’UE ?

Elvire Fabry : L’Union européenne a signé une quarantaine d’accords à travers le monde qui sont de plus en plus exigeants pour assurer des échanges équitables (propriété intellectuelle, développement durable, ouverture réciproque des marchés publics…) Notons que Bruxelles n’envisage à aucun moment un abaissement des normes européennes en vigueur.

Vincent Chatellier : Si de nombreux acteurs professionnels s’offusquent face à la signature d’accords bilatéraux, il convient de rester précis dans les analyses car l’impact potentiel varie fortement selon les produits considérés et les pays impliqués. L’accord avec le Japon est par exemple favorable pour l’UE dans la mesure où cet Etat est d’abord un grand pays importateur (le 4e au monde). Dans le cas du Canada, l’accord est plutôt favorable en production laitière mais plus problématique en viande bovine.

Zoom sur le Brexit et la PAC : une nouvelle donne pour l’Europe ?

Elvire Fabry : « Le dossier du Brexit est suspendu à l’élection d’un nouveau Premier ministre. Il est certain que la sortie du Royaume-Uni de l’UE sans accord, le scénario du “no deal” qui semble se profiler, est la solution qui coûterait le plus cher aux Britanniques. Ils ont désormais jusqu’au 31 octobre pour se prononcer. »

Vincent Chatellier : « La balance commerciale du Royaume-Uni en produits agroalimentaires étant largement déficitaire (-27 milliards d’euros en 2018), les Britanniques continueront d’importer dans les États membres de l’UE dont les Pays-Bas, l’Irlande et la France. Selon les modalités retenues, les consommateurs britanniques pourraient être pénalisés par l’application de droits de douane aux frontières. Concernant la Pac, il est à mon sens trop tôt pour se prononcer. Rien n’est encore acté, mais il est certain que l’on assiste à une montée en puissance des questions environnementales et climatiques. »

Propos recueillis par Louise Michaud, Cogedis


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