De rencontre en rencontre, Fanny Bertrand a su se convaincre d’un projet de reconversion pas comme les autres : élever des bufflonnes asiatiques en Bretagne. Aujourd’hui, la jeune femme produit et vend sa mozzarella bio en circuit court. Portrait sensible.
Tout en caressant la tête de Prune, jeune bufflonne d’à peine deux semaines, Fanny Bertrand raconte son parcours d’installation… Et s’installer quand on est une jeune femme, qu’on ne vient pas du monde agricole et qu’on défend un projet atypique, voilà un sacré challenge !
« Vous, vous n’êtes pas faite pour être salariée… ». Aujourd’hui, la phrase résonne comme une évidence pour Fanny Bertrand et pourtant : « C’était en 2014, j’étais en pleine traversée du désert, les plus longues journées de ma vie. En fait, je me cherchais : marre des boulots alimentaires dans la grande distribution ou l’agro. Je venais de me planter dans un centre équestre, alors j’ai débuté un bilan de compétences. Un jour, dans un forum de recrutement, un paysagiste m’a sorti cette phrase. Ça m’a interpellé ».
Et comme pour bien se faire comprendre, Fanny refait le film : « J’ai grandi entourée d’animaux : poissons rouges, chiens, chats, souris et, toute petite, j’ai été mise en contact avec les chevaux. Quand j’ai obtenu un brevet de monitrice d’équitation, je croyais enfin avoir trouvé ma place. Mais j’ai vite déchanté dans un milieu de propriétaires et de clients à qui tout semble être dû. J’ai fini par démissionner ».
A l’aube de ses 30 ans, Fanny découvre le chômage et le vit mal. Sensible, mais pas du genre à s’effondrer, elle saisit l’occasion pour se remettre en question.
[caption id= »attachment_42278″ align= »aligncenter » width= »720″] Fanny et Prune.[/caption]
La force des rencontres
« Une conseillère emploi m’a parlé du Pass Adema, dispositif de reconversion professionnelle en agriculture. L’idée m’a intéressée : passer mon BPREA… et pourquoi pas ? » Voilà comment elle se retrouve pour la première fois dans une salle de traite : « tout de suite, je m’y suis sentie à l’aise. »
Dès lors, les rencontres se succèdent et lui permettent de construire un projet tout en laissant libre cours à son intuition. Une synergie vertueuse s’enclenche. Fanny suit sa formation à Combourg et se voit déjà salariée agricole dans une ferme laitière, mais quelque chose lui dit qu’un élevage atypique lui conviendrait bien. « J’ai eu la révélation en regardant un documentaire sur la mozzarella ».
Elle se renseigne sur le buffle d’Asie, puis rencontre Samuel Jéhanno, éleveur à Languidic (56). L’animal lui plaît (lire encadré). Fanny débarque ensuite chez Guy Lesné, agriculteur à Plédéliac (22) qui cherche à céder son exploitation comptant une vingtaine de bufflonnes allaitantes.
Entre eux, le courant passe : « Les deux heures qu’on a passées ensemble ont été déterminantes. Mets-moi sur la liste des repreneurs potentiels, lui ai-je dit en partant ».
Les mois passent. Fanny obtient son diplôme, travaille en ferme laitière. De son côté, Guy Lesné réfléchit. Il lui propose de s’installer en SCEA avec ses deux fils, Aymeric et Sylvain. Ils seront ses coassociés, mais non-exploitants et Fanny sera gérante majoritaire… Pas gagné, mais jouable !
[caption id= »attachment_42279″ align= »aligncenter » width= »720″] Fanny garde jalousement le secret de fabrication de sa mozzarella. Elle propose aussi des yaourts à sa clientèle.[/caption]
Un week-end par mois
« On en a passé du temps avec la juriste, se souvient-elle, parce qu’il me fallait un dossier d’installation béton : il restait à financer une salle de traite et surtout le laboratoire ! ». Là encore, Fanny Bertrand trouve la bonne conseillère qui réalise pour elle une solide étude de marché. « J’ai travaillé dur pour préparer mes entretiens et avoir les réponses à toutes les questions ». Une banque finit par la suivre. Elle s’installe le 1er mai 2017.
Maintenant Fanny produit et vend sa mozzarella dans des magasins fermiers et un restaurant. Le souci n’est pas de trouver preneur : c’est un produit rare et recherché. « Il faut que je continue, lentement mais sûrement, à augmenter ma production de lait. J’espère la doubler et atteindre les 150 litres par jour d’ici un an ». Objectif : être plus à l’aise financièrement pour pouvoir créer un emploi et s’accorder un week-end de repos par mois.
Certes, ça risque d’être « dur, dur » pour Prune qui ne cesse de lui réclamer des caresses, mais Fanny Bertrand le sait : plus tard, la jeune bufflonne lui donnera tout son lait et rien que du bon !
« Être respectée sans être crainte »
Adepte du comportementalisme équin, auquel elle s’est initiée, elle a mis à profit tout son savoir pour prendre en main les bufflonnes : « Avant de commencer à les traire (il fallait d’abord installer la salle de traite …), je les ai regardées vivre plusieurs mois, observant comment elles inter-agissaient entre-elles et avec moi. C’est un animal au caractère fort, à mi-chemin entre la vache et le cheval, qui peut vous tester longuement… Je pars du principe qu’une bête a le droit d’être en désaccord avec moi ou ce que je lui demande. Il faut juste la comprendre avant d’agir. J’avais remarqué, par exemple, qu’une de mes bufflonnes donnait parfois très peu de lait… Et j’ai fini par constater qu’elle refusait qu’une autre occupe sa place avant elle. Maintenant, je lui réserve sa case… ». Une grande complicité qui a de quoi surprendre. Fanny n’est d’ailleurs pas dupe du risque d’attachement : « J’ai du mal quand elles doivent partir à l’abattoir ». Sachant qu’elle ne peut les garder indéfiniment, elle essaie de trouver des éleveurs ou des fermes pédagogiques qui acceptent d’accueillir ses protégées pour une paisible retraite.
Élevage du Clos du Val – Fanny Bertrand
Le Bas Mévite – 22 270 Plédéliac
Sur Facebook : https://www.facebook.com/fermeduclosduval/
Pierre-Yves Jouyaux.