Chargé d’accompagner le partenariat entre l’Institut technique du porc français et un investisseur privé chinois, Gilles Beyer a passé six années dans une structure de 3 000 truies.
L’objectif du partenariat était double : aider un industriel chinois à développer une structure de sélection porcine, à 400 km de Pékin, et améliorer l’image d’une génétique française qui tente de se faire une place au soleil, au cœur du principal bassin de production mondial. C’est pour cette mission — former des techniciens et des animaliers — que Gilles Beyer a été embauché en 2011. Pas évident quand on ne connaît ni la langue ni la culture… et qu’on doit gérer l’éloignement, à des milliers de kilomètres de sa famille. « L’éloignement, je connaissais, pour avoir effectué mon service militaire à Mururoa ; pour le reste… »
Une vie dans l’élevage
Avec le consentement de son épouse et de ses quatre jeunes enfants, il s’exile dans la province du Hebei, dans un élevage de 800 truies. « Travailler dans un élevage là-bas, c’est du 24 heures/24. Rien à voir avec ce que l’on connaît chez nous », assure l’ancien responsable d’un élevage costarmoricain. « Il y a une zone de vie, au sein même de l’élevage où les salariés passent tout leur temps, y compris les fins de semaine. Avec cuisinier, femme de ménage, lingerie, dortoir, où les couples peuvent éventuellement élever leurs enfants jusqu’à 3 ans… » Le Léonard d’origine gère l’élevage et son équipe, en vivant dans ces mêmes conditions, pendant les 6 premiers mois de son séjour. Trois expatriés, chargés de monter des ateliers périphériques et de porter la structure à 3 000 truies et 100 salariés (usine aliment, centre d’insémination, élevages, boucherie…) le rejoignent pour une année. « Ensuite, j’étais le seul Français à travailler sur place, en permanence. À gérer des salariés qui n’ont pas forcément les mêmes priorités. Je pense qu’il faut avoir une force de caractère tout en sachant garder son calme. Un salarié mécontent s’en va rarement seul et les recrutements sont difficiles… » Les retours en Bretagne tous les trois mois, en famille pendant deux semaines, ne sont pas superflus…
Respect de la hiérarchie
« J’ai rapidement appris la langue. C’est essentiel pour s’intégrer et discuter en direct avec des interlocuteurs dans le travail. Je ne faisais pas forcément confiance aux interprètes. » Gilles Beyer travaille dans les élevages mais circule aussi dans le pays pour diffuser le savoir-faire français. « La génétique européenne a bonne presse et taille des croupières à sa concurrente américaine. La France se fait une bonne image car il y a du monde pour assurer un suivi, des formations, après les ventes d’animaux. » Les visites de professionnels chinois en France sont également appréciées. « Là-bas, le système est très pyramidal. Il y a un grand respect de la hiérarchie ; il faut convaincre les chefs et établir une relation de confiance avec eux… »
Sanitaire compliqué
Les meilleurs élevages ont des résultats techniques de bon niveau. « Le sanitaire est un combat de chaque jour. Les grandes maladies, maîtrisées chez nous (Aujesky, peste, fièvre aphteuse, diarrhée épidémique…), circulent en Chine. J’ai beaucoup appris des vétérinaires locaux. Les salariés, quand ils rentrent chez eux, font parfois des centaines de kilomètres et peuvent transmettre les virus. Dans notre élevage, il y avait une zone de quarantaine où ces porchers, à leur retour de vacances, passaient deux jours. Le temps de laver leurs vêtements, de désinfecter leurs affaires… » L’expansion fulgurante du virus de la peste porcine africaine, qui s’est déclenchée après son retour en France, ne l’a pas surpris. « Le trafic est permanent entre différentes régions, les éleveurs manquent de rigueur sanitaire, les animaux atteints sont enterrés sur place, les céréales sont séchées sur des routes où passent nombre de camions… Le problème, c’est d’abord l’homme, et c’est vrai aussi chez nous », prévient le technicien, réinséré, depuis deux ans, dans la filière porcine bretonne…
Une vingtaine d’entreprises clientes
Nous proposons, depuis une dizaine d’années, une offre globale d’accompagnement des acteurs économiques chinois, essentiellement dans l’amont (génétique, production, alimentation). En 2015, nous avons créé une structure à Shanghai, qui employait 6 experts français et 6 salariés locaux, chargés de renforcer cette offre et de faciliter les relations commerciales et administratives avec une vingtaine d’entreprises locales clientes. Cette démarche de suivi, également développée par d’autres pays européens, a permis d’exporter le savoir-faire français. Souvent au détriment des Nord- Américains qui se positionnent essentiellement comme « vendeurs ». L’explosion de la fièvre porcine africaine a freiné cet élan ; nous n’avons plus que trois experts sur place. Les achats d’animaux étrangers (reproducteurs) sont également en diminution ; les entreprises chinoises hésitent à investir compte tenu de l’incertitude sanitaire. Pour autant, le travail entrepris n’est pas vain ; nous serons en mesure de vendre de la génétique et notre savoir-faire (alimentation, transformation des viandes..) dès que la situation concernant la maladie sera maîtrisée, grâce à des règles de biosécurité plus strictes. Stéphane Gouault, Directeur de l'Ifip (Institut technique du porc)