Les modèles productivistes du Nord génèrent du revenu à leurs éleveurs sur ces dernières années. L’environnement devient un facteur de régulation de la production.
L’Europe a produit en 15 ans 20 millions de tonnes de lait supplémentaires, soit une progression de 13 % par rapport à 2003. L’essentiel de l’augmentation s’est fait sur les cinq dernières années. Par ailleurs, six pays produisent à eux seuls 50 % de la production laitière : l’Allemagne, le Danemark, la France, l’Irlande, les Pays-Bas et la Pologne. Leurs différentes stratégies ont été comparées lors de la conférence « Le lait dans tous ses états », organisée par l’Idele au Space.
La collecte française stagne
« Alors que la collecte française stagne de 2008 à 2018, d’autres pays affichent des dynamiques très marquées, l’Irlande en tête avec 50 % d’augmentation sur 10 ans. La Pologne et les Pays-Bas suivent avec 25 – 30 % de volumes en plus, + 22 % pour le Danemark et + 18 % pour l’Allemagne. Le Royaume-Uni connaît également un rebond de production stimulé par le Brexit à venir », chiffre Gérard You, chef du service économie des filières à l’Institut de l’élevage.
C’est au Danemark que la productivité animale est la plus forte, atteignant une moyenne de 10 000 kg/vache/an. « Dans ce pays, la fin des quotas a été difficile pour plus d’1/3 des éleveurs. La restructuration a été radicale et les exploitations sont devenues gigantesques et intransmissibles. Les jeunes ne s’y installent quasiment plus », souligne Christophe Perrot, économiste à l’Idele. Ce pays connaît une autre limite sur le travail. « Les Danois ne veulent plus traire dans leurs fermes ni ailleurs et embauchent des Ukrainiens, des Vietnamiens, des Érythréens pour ces tâches. »
En Allemagne et aux Pays-Bas, le rendement laitier s’accroît, plus vite qu’en France. Augmentant son cheptel comme sa productivité, l’Irlande est passée de 5 à 7,5 milliards de litres produits. Arrivera-t-elle à 10 milliards prochainement ? Pas sûr car le pays se trouve aujourd’hui confronté à une dégradation de la qualité de l’eau et la filière annonce « ne pas vouloir reproduire la situation de la Nouvelle-Zélande ». Les gaz à effet de serre posent aussi question dans ce pays.
Problèmes environnementaux
« Les systèmes intensifs atteignent peut-être leurs limites aujourd’hui. En Allemagne et aux Pays-Bas où l’intensification animale est forte, les excédents d’azote sont plus importants. L’Allemagne présente le 2e plus haut niveau de nitrates dans ses nappes souterraines. Elle a été condamnée en juillet 2019 par la Cour de justice pour insuffisance des mesures liées à la directive nitrates », rappelle Sylvain Foray, chef de projet évaluation environnementale à l’Idele. Aux Pays-Bas, les émissions d’ammoniac d’origine agricole par hectare de SAU sont les plus hautes. Le plan phosphore de 2017 qui a fait suite au dumping environnemental de 2015/2016 a entraîné une réduction forte des effectifs (- 135 000 vaches laitières). Au Danemark, la problématique phosphore a nécessité l’introduction de plafonds d’épandage pour les exploitations laitières.
« L’environnement, compétence réservée de l’Union européenne, sera sans doute demain la nouvelle politique de régulation laitière. C’est un élément qui deviendra stratégique pour l’accès aux marchés. Les attentes sociétales sont fortes sur les grands enjeux environnementaux. »
Déjà, certains pays s’engagent vers davantage de valorisation. Les Pays-Bas s’orientent plutôt vers une montée en gamme, leur solde commercial est en nette hausse sur 10 ans. Le groupe danois Arla mise sur le lait bio et est très actif sur le « durable » et le climat. En Allemagne, ce sont Lidl et Aldi qui mènent la différenciation. Les politiques publiques sont puissantes. De son côté, la France fléchit au niveau de son excédent commercial, perdant du terrain sur le marché européen et exportant de plus en plus sur pays tiers. Elle est rattrapée par l’Irlande.
« Une situation française plus ouverte »
Dans ce panorama peu enthousiasmant pour sa filière laitière, comment la France peut-elle retrouver une dynamique ? Chez nous, « la situation est plus ouverte. De grands progrès ont été réalisés pour améliorer la qualité des eaux en zone d’élevage. De nombreuses démarches de différentiation sont engagées : une soixantaine au total, mises en place par les industriels, les producteurs, les distributeurs », relativisent les intervenants. Des cartes à jouer.