Les consommateurs veulent des produits frais toute l’année. Les laiteries veulent du lait bio d’hiver, mais l’herbe pousse au printemps notamment. L’équation est complexe.
Le prix du lait bio apparaît soutenu quand on le regarde d’un œil d’éleveur conventionnel. Lors d’une réunion à l’initiative du Gab 29 début décembre à Ploudaniel (29), la valorisation moyenne annoncée sur 2019 tournait autour de 473 € / 1 000 L chez Sill Entreprises (privé) et Agrial (coopérative), deux sociétés qui collectent et transforment.
Chez Biolait, premier collecteur hexagonal (1 375 fermes, 30 % du volume français), les adhérents toucheront plutôt 450 € / 1 000 L sur l’année auxquels s’ajouteront de probables bonus. Administratrice de la structure et éleveuse à Marcillé-Raoul (35), Isabelle Petitpas explique ce retrait par rapport aux industriels par le coût de « l’esprit Biolait qui s’engage à collecter partout en France en garantissant un prix stable, transparent et identique à tous… » Et surtout, pour l’entreprise qui accepte tous ceux frappant à sa porte, par l’encaissement de la récente vague de conversions suite à la crise du conventionnel de 2016. « En quelques mois, notre litrage total a augmenté de 40 % ! Cet été, nous avons voté une politique de gestion des volumes où les efforts de ceux déjà en place, corrélés à un marché qui tire, ont permis d’absorber cet afflux. »
Coller à la pousse de l’herbe ?
Cependant, derrière ces valorisations annuelles se cache un prix mensuel en dents de scie du lait bio en France (voir graphique) qui contraste fortement avec le lissage du secteur conventionnel ou la situation dans d’autres pays européens. « Chez nous, l’effet saisonnalité représente de 100 à 120 € entre le point bas au printemps et le point haut en été. » Or dans le Grand Ouest (Bretagne, Pays de la Loire) produisant 40 % du lait bio français, la dynamique de livraison colle naturellement au cycle de la pousse de l’herbe, ressource importante de la zone. Les éleveurs veulent tirer au maximum avantage des points forts du système herbager : faible coût alimentaire, limitation des charges de structure (mécanisation, voire bâtiment), lissage des pics de travail… Jusqu’au développement de systèmes économes extrêmes en vêlages groupés de printemps où la moitié de la référence laitière est livrée en trois mois printaniers et tout le troupeau tari à la ‘mauvaise’ saison.
Ce cher lait d’hiver
Yannick Auffret, responsable approvisionnement lait chez Sill Entreprises, livre son point de vue : « Le consommateur veut du bio toute l’année. Alors accentuer la production au printemps est problématique. Chez nous, le message est clair : notre laiterie n’accepte pas les éleveurs qui stoppent leur machine à traire pendant deux mois. » Le spécialiste concède bien sûr que les industriels sont capables de produire beaucoup de beurre et de le congeler et, parallèlement, de la poudre et de la stocker. « Mais cela nous a peu réussi en conventionnel et à l’arrivée, c’est le producteur qui paie la note avec un prix du lait en baisse. » Sa priorité est d’inciter à la production hivernale quitte à complémenter davantage les rations. Une approche qui renvoie aux pratiques en Allemagne et surtout au Danemark où le niveau d’étable moyen atteint 9 200 kg de lait par vache en bio, selon Élodie Boudeele. Même chez Biolait, c’est une question épineuse. « Le sujet du pic printanier est toujours à l’ordre du jour, mais jamais tranché… », concède Isabelle Petitpas. Et la saisonnalité, fondement de l’agriculture biologique pour les « historiques », est une fois de plus au cœur du débat comme pour le chauffage des serres en bio récemment.
Par ailleurs, sur le terrain, on recherche des solutions concrètes comme en atteste la récente journée « Produire du lait bio en hiver » de la Chambre régionale d’agriculture, le mois dernier à Trévarez (29). Mais à la sortie de ce rendez-vous, beaucoup d’éleveurs semblaient conclure que le prix proposé par les laiteries n’était pas suffisant pour couvrir le coût de revient du lait bio desaisonné.
Globalement rémunérateur
Malgré tout, la rémunération globale semble être au rendez-vous. Dans l’assemblée, un conseiller de centre comptable confiait que les résultats des producteurs bio étaient en moyenne de 6 000 ou 7000 € supérieurs à ceux en conventionnel pour des références laitières plus faibles, « autour de 300 000 L contre 500 000 L livrés en moyenne et une charge de travail plus faible ramenée à l’actif ». Avant de préciser tout de même que les taux d’endettement avaient tendance à progresser en bio. « Un point de prudence à souligner. »
Le maïs progresse dans les assolements
Le prix du lait bas au printemps et soutenu le reste de l’année pousse certains à adapter leur stratégie. Ainsi en Bretagne, le maïs progresse dans l’assolement des éleveurs bio renvoyant à des structures qui grandissent, aussi bien en termes d’installations que de conversions, et un foncier accessible qui diminue en proportion. Or le problème n’est pas l’autonomie protéique comme en conventionnel, mais plutôt l’autonomie énergétique. Le maïs et ses 8, 10, 12 voire 16 t de MS / ha en bio peut apporter cette énergie et donner du lest en hiver. Ceux qui ont la surface pour produire leur concentré peuvent aussi miser sur le lupin ou les mélanges céréaliers. À l’arrivée, le coût alimentaire peut dépasser les 130 € / 1000 L en hiver. À chacun de faire son calcul de rentabilité. Élodie Boudeele, Conseillère « Ruminants » au Gab 29