Ils ont parcouru quelque trois mille kilomètres pour venir s’installer au bout de la pointe bretonne, en quête d’une nouvelle vie. A force de travail et d’abnégation, Victoria et Petre Litescu ont réussi leur pari. Rencontre avec ce couple de maraîchers bio d’origine roumaine.
Sous le ciel plombé typique de ce « très noir » mois de décembre breton, des trombes d’eau se déversent sans interruption depuis le lever du jour. Saturés, les fossés bordant la route communale dégorgent sur la chaussée. À l’abri, dans les tunnels de son exploitation bio de Trégarantec (29), Petre Litescu, constate que « les salades ne poussent plus, il n’y a pas assez de lumière pour la photosynthèse ! » Même si cela fait déjà huit ans qu’il est arrivé dans le Finistère accompagné de Victoria, son épouse, Petre, qui a su s’adapter à tout, reconnaît être encore parfois dérouté par la complexe météo finistérienne… Mais pas question de se plaindre. Ce n’est pas trop le genre de la maison. Ici, on travaille et on va de l’avant. C’est avec cet état d’esprit que le couple, au mitan des années 90, a choisi de prendre son destin en mains et de quitter la Roumanie pour la France.
Sur leurs premières années passées dans l’Hexagone, pudiques, ils ne s’étendent guère. Mais l’on comprend que, de « petits boulots » en jobs précaires, leur parcours n’a pas été un chemin pavé de roses. Au début des années 2000, Petre et Victoria retournent d’ailleurs un temps en Roumanie. Avant de revenir en Bretagne en 2011. « Mon fils avait été embauché chez un maraîcher bio finistérien, je l’ai remplacé ». Un travail de la terre que Petre connaît bien pour l’avoir exercé au pays, comme son père et son grand-père avant lui. Victoria, de son côté, trouve alors un emploi dans une endiverie. Gros bosseurs, tous deux s’accrochent.
La bio, un choix naturel
« Pour nous, le travail n’est pas un droit mais une obligation ». Et c’est aussi la clé d’une intégration réussie. Leur opiniâtreté sera finalement récompensée. Il y a quatre ans, une opportunité se présente sous la forme d’une parcelle à l’abandon depuis une dizaine d’années. Le couple Litescu franchit le pas, l’exploitation Kerlitzi voit le jour. « Nous avons défriché et investi, petit à petit, dans des équipements. La bio est naturelle pour nous. C’est le travail des mains, comme nous l’avons toujours fait ».
Epaulés par un salarié, Victoria et Petre exploitent un total de près de 3 hectares. Sur le volet financier, la Caisse locale du Crédit Mutuel de Bretagne les accompagne dans leur développement raisonné. « En quelques années, nous avons établi une relation de confiance avec les conseillers du CMB ».
Au sein de l’exploitation, même s’il faut savoir tout faire, chacun a sa spécialité. Petre gère le planning, les rotations des cultures, les plantations. « Nous produisons plus de 80 légumes différents, sans compter les sous-variétés ! » Victoria, elle, traite la partie administrative et s’occupe des marchés qui, avec l’approvisionnement des coopératives bio, constituent le principal débouché pour la commercialisation de la production. Des marchés locaux où il n’est pas toujours aisé de se faire sa place. « J’accepte la concurrence bien sûr, souligne Petre, mais je trouve que l’on devrait favoriser la vente de produits locaux, les circuits les plus courts ».
Un « R » exotique
« Aujourd’hui, notre vie est en Bretagne, insistent les deux quinquagénaires. Nous avons d’ailleurs acheté une maison ici ». Parfaitement insérés, ils ont su se faire de vrais amis sur qui ils savent pouvoir compter en cas de besoin. « Moi, j’aime bien les paysans brrretons ! », affirme ainsi avec enthousiasme Petre. Avec cet « R » qui roule au fond du palais, l’accent a conservé une trace d’exotisme. Mais l’air vivifiant que ces deux agriculteurs respirent désormais est 100 % finistérien. Et il a pour eux le goût de la liberté !
Jean-Yves Nicolas
