« L’agriculture, ce n’est pas comme un magasin… »

 - Illustration « L’agriculture, ce n’est pas comme un magasin… »
Originaires de la province de Liège, Karolina Seba et Thomas François, se sont installés en 2018 à Le Cours, à 30 km de Vannes. Ils y développent un projet d’élevage et polyculture bio, en circuit court, à l’image de ce forçage d’endives testé dans l’ancien poulailler de la ferme.
En février 2018, Thomas et Karolina, originaires de Belgique, ont posé leurs valises à Le Cours dans le Morbihan. Témoignage lucide et sensible sur leur parcours d’installation.

« L’agriculture, ce n’est pas comme un magasin rempli de marchandises où l’on n’a plus qu’à attendre le client. Non, il faut du temps, comme à un arbre pour donner ses premiers fruits ». Devant un thé, Thomas et Karolina se racontent, sans détour, conscients de l’immensité du travail qui les attend, mais certains de la cohérence de leur projet (lire encadré). Il faut dire que le monde agricole, ils connaissent. Par contre, leur installation en « terre étrangère » leur a réservé quelques surprises. C’est pourquoi le regard qu’ils posent sur notre pays et la Bretagne ne manque pas d’intérêt. Alors pourquoi ont-ils choisi de s’installer en France ?

Spéculation foncière

Thomas, fils d’agriculteur, a toujours souhaité reprendre la ferme familiale. En attendant, diplômé en agriculture, il a continué à se former. « J’ai fait de la recherche en entomologie, puis dans plusieurs domaines : lombri-compostage, contrôle de pulvérisateurs, désherbage mécanique… ».
Mais il y a un problème de poids : l’absence en Belgique d’organisme régulateur (type Safer) entraîne une forte pression foncière et se révèle un énorme frein à son projet de reprise de l’exploitation.
Tenace, Thomas se met alors en quête d’un fermage, perle rare en Belgique… Puis, il répond à une annonce pour devenir chef d’une grande exploitation de 250 ha, mais termine second sur une centaine de candidats.

On est en février 2017 : « Avec Karolina, on s’est décidé à contacter une agence rennaise pour reprendre une exploitation normande ou bretonne ». Le couple aime ces deux régions, ayant l’habitude d’y passer des vacances : « et puis, en TGV, Bruxelles n’est jamais qu’à 4 heures de Rennes …».
Deux mois plus tard, ils trouvent ce qu’ils cherchaient : une petite exploitation laitière avec habitation, proche d’une ville pour assurer les débouchés d’un système en circuit court, mais aussi pour fournir des services à leurs enfants : Henri et Charles.

La racine du problème

Voilà comment, début 2018, ils s’installent dans le sud du Morbihan. Kinésithérapeute, Karolina trouve rapidement un poste dans un cabinet. Thomas, lui, démarre son projet en élevage et polyculture. Son idée : « créer un système bio cohérent exploitant l’ensemble des ressources présentes ».
Il achète un troupeau de vaches allaitantes pour entretenir les prairies et, à terme, vendre de la viande en caissettes. En parallèle, il mise sur la racine d’endive : « Mais j’étais en première année de conversion vers le bio et j’avais peu de contacts locaux. Cela m’a empêché d’écouler la production comme prévu ».

Résultat : une grande partie de sa première récolte lui reste sur les bras. Perte sèche. Il lui faut réagir, Thomas change de stratégie : « Continuer à faire de l’endive, oui, mais jusqu’au produit fini avec une vente en circuit court ». Dans ces conditions, plus question de le faire seul, alors il propose à Karolina de devenir cogérante. Après réflexion, elle accepte et le rejoint sur la ferme.

[caption id= »attachment_44008″ align= »aligncenter » width= »720″] L’un des jeunes taureaux de race bazadaise, né du troupeau que Thomas et Karolina ont commencé à constituer.[/caption]

Paperasse versus Accueil

Une prise de risque qui en dit long sur la motivation du couple : « On nous avait dit que les trois premières années de l’installation seraient difficiles. On le savait. Maintenant, on le vit ». Et c’est peu dire, si l’on se réfère aux surprises qu’ils ont rencontrées en chemin. « D’abord, on s’est heurté à l’hallucinante administration française. Pour ouvrir un compte bancaire, il faut un numéro de téléphone en France, mais pour obtenir ce numéro, il faut un compte bancaire en France… On fait comment ? Même chose pour les dispositifs d’aide qui dépendent de structures différentes… À qui s’adresser ? Autre écueil : un plan de suivi comptable trop optimiste, déconnecté de notre réalité, celles de personnes qui manquent de repères et de réseau… Au final, une énorme perte de temps ».

Heureusement, tout n’est pas négatif, loin de là. « On a été très bien accueilli et on s’est vite intégré. Et puis, on apprécie la qualité et la diversité des formations que nous avons pu suivre avec la Chambre d’agriculture et ses partenaires (Gab) : contention animale, initiation à l’ostéo-bovine, gestion des haies et valorisation du bocage, réglementation sur l’aménagement d’un point de vente à la ferme… Sans compter les belles rencontres qu’elles nous ont permis de faire.

Ne leur reste plus qu’à s’habituer aux “coutumes locales” : « Les Français aiment discuter, négocier, rediscuter. Chez nous, quand on fixe un prix, il ne bouge plus… Notre côté nordique, sans doute ! On est en train de découvrir tous ces codes et on sait bien qu’il nous faudra du temps pour les apprendre ».
Gageons que Karolina et Thomas sauront le prendre !

« Travailler des produits qu’on aime »

Sur une grande feuille, Thomas et Karolina ont pris le temps de schématiser leur projet. « On le fait évoluer avec, toujours en tête, l’idée de travailler des produits qu’on aime ». Côté élevage, Thomas a démarré un troupeau de Bazadaises, race locale d’Aquitaine à la viande très appréciée. L’éleveur récolte de quoi nourrir ses bêtes en complète autonomie. Autre axe : développer une culture à haute valeur ajoutée : « On a d’abord misé sur l’endive, plus vite rentable pour notre trésorerie ». Il faut dire que l’arrivée de Karolina comme cogérante a rebattu les cartes. Actuellement, le couple peaufine sa technique de forçage dans l’ancien poulailler de la ferme : « On écoule l’essentiel de nos endives dans des magasins de producteurs sur Elven, Questembert et Ploërmel ».

Question d’ouverture

Mais Thomas et Karolina voient plus loin : « En 2018, on a été lauréats du concours Arbres d’Avenir ». Désormais, ils plantent des fruitiers dans leurs prairies et d’autres essences pour drainer des parcelles, reconstituer des haies, mais aussi créer de la biomasse qui, à terme, sera valorisée en plaquette pour sécher leurs productions et chauffer les infrastructures. D’autres idées devraient germer sous peu : « Ce qui nous fait avancer, c’est qu’on tient un beau projet et qu’on se sent moins seuls aujourd’hui pour le mener à bien. Il y a ici une vraie ouverture d’esprit. Les agriculteurs qu’on rencontre nous montrent aisément ce qu’ils ont et ce qu’ils font, une différence avec les comportements en Belgique, souvent plus individualistes ».

Pierre-Yves Jouyaux

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