Dans les médias, et même chez les éleveurs, les abattoirs sont comparés à des « boîtes noires » ayant tout à cacher. Profitant de son échelle artisanale, Quintin Viandes veut au contraire expliquer le métier et retrouver de l’attractivité.
Chez les Thébault, on est marchands de bestiaux de père en fils. Henri n’a pas fait exception en enfilant la blouse d’acheteur en début de carrière. « Basé en Ille-et-Vilaine, je faisais les grands marchés partout en France. Mais suite à la 2e crise de la vache folle et à l’épisode de la fièvre aphteuse, à la fin des années 90, le métier ne permettait plus de gagner sa croûte », raconte-t-il. Pour rebondir, il saisit « une opportunité » et reprend l’abattoir de Quintin (22). Créé en 1912, l’outil municipal est passé sous gestion privée depuis 1975. Quand Henri Thébault et son associé le rachètent, en 2001, le site est vétuste, les investissements n’ont pas été au rendez-vous depuis des décennies. « J’avais déjà les ficelles de l’achat vivant. J’ai appris le métier de la viande en quelques années. »
À contre-courant, une chaîne porc neuve en 2014
Mais malgré l’enthousiasme et la passion du nouveau propriétaire, les affaires ne sont pas florissantes. Au rachat, l’abattoir compte 8 salariés et traite 800 t de viande par an (essentiellement du bovin). En 2002, la fermeture de l’outil de Saint-Brieuc, à 20 km, profite à Quintin. L’activité monte à 1 200 t l’année suivante avant de redescendre à moins de 800 t en 2009…
Pourtant proche de mettre la clé sous la porte, en 2010, Henri Thébault prend seul les rênes. Son épouse Pascale, venue du monde de la transformation laitière, le rejoint. Ensemble, ils remettent tout à plat. « Malgré les difficultés, les banques nous ont fait confiance et financé la rénovation de tout le froid et du panneautage. » Et peu à peu, le vent a tourné. L’activité est repartie. Entre les fermetures de chaînes dédiées (Pontivy, Montauban-de-Bretagne) ou d’outil entier (Lampaul-Guimiliau), la restructuration des grands groupes d’abattage en Bretagne fait aussi bouger les lignes. Mieux, en 2014, alors que Gad fermait, Quintin Viandes investissait dans une chaîne porc dédiée. « Certains se demandaient si nous étions tombés sur la tête », sourit le couple.
Gros problème de recrutement
Mais pour nourrir cette dynamique, encore fallait-il trouver de la main-d’œuvre. Plus encore qu’en élevage, les candidats ne se bousculent pas au portillon de l’abattoir. « Même si des outils fermaient dans la région, nous ne trouvions personne. D’autant que les grosses unités du secteur – Cooperl, Jean Floch, Kermené… – sont des aspirateurs à main-d’œuvre avec leurs conditions d’embauche et leurs comités d’entreprises attractifs », explique Pascale Thébault. Alors, en 2013, l’entreprise embauche deux Roumains. Une première expérience satisfaisante puisqu’aujourd’hui, ils sont huit en CDI à Quintin Viandes. « Ils se cooptent entre eux : tous viennent de la même commune. » Un professeur de mathématiques, un chaudronnier, un mécanicien… « Certains sont des manuels et ont des compétences que nous avons perdues en France. Ici, ils réparent tout », apprécie Henri, un patron bien plus à son aise au milieu des carcasses avec ses salariés que derrière son bureau.
Pour fluidifier les échanges et la compréhension des consignes (sécurité, hygiène, bien être animal…), Pascale Thébault a même étudié la langue roumaine pendant un an et demi. « Cette main-d’œuvre est rare et précieuse. Et celui qui est bien dans sa vie personnelle est bien dans son travail. Alors, je suis à leur côté pour tout : inscription des enfants à l’école, caution du logement, démarches administratives ou bancaires… », confie-t-elle. Pour les responsables, l’ambiance familiale et le soin porté aux salariés participent à la qualité du service aux clients. À midi, « pour fédérer », toute l’équipe déjeune ensemble dans la cuisine de l’entreprise. Un service de massage est proposé gracieusement une fois par mois… Et Quintin Viandes a encore embauché trois personnes en 2019. Des Français cette fois-ci. Peut-être une preuve de reconnaissance pour une société dynamique dans un secteur ignoré, voire pointé du doigt, qui ose communiquer vers l’extérieur et ouvrir ses portes aux éleveurs, bouchers, étudiants, acheteurs…
Après l’hôpital, Quintin Viandes est aujourd’hui le 2e employeur d’une commune de 2 800 habitants, avec 28 salariés. L’activité qui a explosé, 2 400 tonnes annuelles (1 600 t en porc), permet d’écraser les charges fixes, « l’objectif prioritaire pour un abattoir », et d’être désormais rentable.
Livrer les bouchers et les supermarchés
Mon frère et moi conduisons un élevage conventionnel de 250 truies. Il y a 4 ans, quand le prix du cochon était très bas, à la recherche de valorisation, nous avons rencontré boucheries traditionnelles et grande distribution dans un rayon de 30 km. Nos interlocuteurs ont apprécié la démarche et démarré un partenariat. Depuis 10 ans, nous vendions des colis de viande sous vide aux particuliers, mais la logistique pour livrer des magasins était autrement plus compliquée. Quintin Viandes nous a apporté des solutions. Nous livrons nous-mêmes les animaux. À réception du classement de nos carcasses, nous donnons les ordres d’envoi vers tel ou tel magasin. L’abattoir découpe et livre. Aujourd’hui, cette vente directe représente 1 000 animaux par an, soit 15 % de la production. Mickaël Hélo, Éleveur à Cléguer (56)