Au Rheu, des chercheurs travaillent sur les variétés de pays, rangées depuis longtemps au frigo.
« À partir du début du XXe siècle, nous avons assisté à un dépouillement progressif de l’acte de sélection qui avait toujours été dans les mains des paysans tout au long de l’histoire de l’humanité », démarre Véronique Chable. Cette dernière dirige le groupe « Biodiversité cultivée et recherche participative »* sur le site du Rheu de l’Inrae. « Après la Seconde Guerre mondiale, les variétés dites modernes ont peu à peu pris toute la place dans les champs. D’abord les blés, puis les maïs, et enfin les choux… Rappelez-vous que jusqu’aux années 80, il n’y avait encore que des populations dans les parcelles de choux. »
Parallèlement, les variétés locales, dites de pays, ont « au mieux » été reléguées au placard ou plutôt dans des banques de conservation des ressources génétiques. « En général, une banque n’est rien d’autre qu’un simple congélateur dans un laboratoire de recherche où sont stockés des échantillons de semence », précise son collègue Antoine Marin.
Ces banques sont censées être accessibles à tout le monde. « En théorie, c’est un service public. N’importe qui a le droit de demander un sachet de graines. » Dans la pratique, peu le savent. « Les demandes viennent en général des instituts de recherche ou des sélectionneurs, mais nous invitons les paysans et les associations de défense de la biodiversité à en effectuer également… » Comme c’est le cas pour des associations Triptolème, Kaol Kozh ou le réseau Semences Paysannes.
« Qualités nutritives et gustatives fantastiques »
Le développement de l’agriculture bio a donné une impulsion au début des années 2000. Véronique Chable considère que les variétés homogènes actuelles ont un pouvoir d’adaptation quasi nul. « Les variétés hétérogènes, ce sont les variétés paysannes. » Pour la scientifique, ces populations évoluent plus facilement en fonction du milieu : « Par exemple, les plantes paysannes sont plus collaboratives avec les micro-organismes de l’environnement. » Sans oublier que ces variétés anciennes ont « des qualités nutritives ou gustatives fantastiques », souligne Antoine Marin. « Malheureusement, toutes les informations ont été perdues. » Il faut donc réapprendre comment les cultiver, les transformer, les manger… « À la sortie d’une banque, l’échantillon de semence est généralement accompagné d’un lieu et d’une année de collecte. Et c’est à peu près tout. Cette avoine, est-elle d’hiver ou de printemps ? On ne sait pas. »
L’équipe du Rheu mène donc un patient et minutieux travail de caractérisation et de valorisation des variétés anciennes. Régulièrement, elle sort du matériel des banques de gènes française, européenne ou internationale. « De toute manière, il est indispensable de les ressemer de temps en temps pour éviter que les graines ne perdent leur pouvoir germinatif. Tous les 10 ans pour un blé, tous les 20 ans pour un chou. » Mais malgré ces précautions, le système reste fragile. « Il y a eu une véritable érosion génétique, car ne rêvons pas, il est impossible de mettre la diversité génétique d’un champ dans un petit sachet. »
La diversité recultivée pour la bio
« La question est alors comment recrée-t-on de la diversité avec ce qu’il reste ? » Objectif : retrouver une hétérogénéité dans les variétés leur permettant d’évoluer ensuite à la ferme en fonction du type de sol, de l’année, du climat, des aléas… Le laboratoire vise la sortie de 200 variétés par an. Avoines en 2019. Grands épeautres en 2018. Sarrasins entre 2015 et 2017. Poulards encore auparavant et la fameuse collection des 330 blés de Redon dans les années 2010…
« Au départ, nous n’avons de quoi semer qu’1 ou 2 m2. » Pour des plantes autogames comme le blé, l’autofécondation dans laquelle les deux gamètes sont issus du même individu est peu favorable à la diversité génétique. Les chercheurs ont parfois recours au croisement manuel : à la pince à épiler, il faut recueillir du pollen d’une plante pour féconder la fleur d’une autre… Quand la culture s’est bien déroulée, l’année d’après, il est possible de semer 5 à 10 m2. Puis quelques bandes l’année suivante.
[caption id= »attachment_44241″ align= »aligncenter » width= »720″] Sous une des serres servant à la culture de micro-parcelles, Antoine Marin présente deux variétés de blés anciens aux très longues pailles.[/caption]
Les chercheurs animent aussi des initiatives de sélection participative. « Nous confions de la semence à des paysans pour la remettre en culture et trier ensuite les épis qui les intéressent pour la suite. Ils refont leur boulot de sélectionneur… » Ces tests grandeur nature sont suivis par les scientifiques. Qu’est-ce qui fonctionne le mieux en termes d’itinéraire technique, de densité ou de date de semis, de mélanges de variétés ou d’espèces ? Les questions sont nombreuses. Les réponses toujours longues à obtenir. Une chose est sûre pour Véronique Chable et Antoine Marin : « Les variétés paysannes ne sont pas des plantes de musée. Pour nous, leur conservation doit se faire in situ c’est-à-dire dans les champs des paysans. Il faut absolument les recultiver, ressemer de la diversité. »