Respect. La Bintje fête ses 115 ans en 2020. Plus d’un siècle de popularité, et pas une ride culinaire pour cette pomme de terre « toujours copiée, mais jamais égalée ».
Bintje. Ce diminutif néerlandais de Bénédicte est le prénom d’une ancienne élève – Bintje Jansma – de l’instituteur Kronelis Lieuwes de Vries, créateur à ses heures de nouvelles variétés de pommes de terre. Fils d’agriculteurs frisons, cet enseignant, également diplômé agricole, avait pour habitude de nommer ses créations variétales du prénom de ses enfants. Mais avec 125 nouvelles variétés à son actif, De Vries a dû puiser parmi les prénoms de jeunes de son entourage. C’est ainsi que Bintje Jansma, une jeune fille de 17 ans, a inspiré le directeur de l’école publique de Suameer. Tout comme de nombreuses autres camarades de classe – Sipe, Trijntje et Cato – qui ont également donné des noms de variétés de pommes de terre aujourd’hui tombées dans l’oubli.
Née sur le bord d’une fenêtre
[caption id= »attachment_44530″ align= »alignright » width= »240″] Thierry Lamouric, Cléguérec (56).[/caption]
L’histoire raconte que l’infatigable Kronelis Lieuwes de Vries faisait pousser ses cultivars dans des boîtes qu’il posait sur le rebord des fenêtres de sa classe. Membre de l’Association frisonne d’agriculture qui le conduisait aussi à dispenser des cours d’agriculture d’hiver, il fut chargé de mettre en place un champ d’essai de pomme de terre en 1898 qu’il suivit pendant 25 ans. Seule la Bintje, issue d’un croisement entre la Munstersen et la Fransen, connut un réel succès. Mais un seul succès planétaire tel que celui-là ne suffit-il pas à l’accomplissement du dessein de toute une vie consacrée à la pomme de terre ?
Créée en 1905, la variété « bénie par Dieu », comme l’évoque par le plus pur des hasards le prénom Bénédicte, fit sa première apparition dans les commerces néerlandais en 1910. Avant de partir à la conquête de l’Europe du Nord. Et d’arriver en France où la variété est inscrite au catalogue officiel depuis 1935. Puis de débarquer en Bretagne… Comme à Cléguerec (56) dans la famille Lamouric qui cultive de la Bintje depuis quatre générations. « Mon père en faisait, mon grand-père aussi et même mon arrière-grand-père », retrace Thierry Lamouric qui cultive 6 ha de plant super-élite après en avoir eu le double il y a encore quelques années. « Tous les ans, j’achète 2 000 tubercules dits G0 pour maintenir le niveau sanitaire de ma production. Être au top de la qualité est la seule façon de vendre », explique-t-il, reconnaissant qu’il y a eu beaucoup d’invendus de Bintje ces deux dernières campagnes. En cause, les industriels de la chips du Nord qui ont décidé de délaisser la doyenne des variétés sur sa zone d’approvisionnement du nord de la France.
La pomme de terre couronnée
Qu’importe. Thierry Lamouric continue de faire confiance à cette variété « souvent copiée mais jamais égalée », comme il le dit et que son père éleva au rang de « reine de la pomme de terre » en 1985. « C’est Marcel Le Denmat, un instituteur de la commune, qui a dessiné la pomme de terre couronnée qui a trôné pendant plus de 30 ans au bord de la route départementale », raconte ce passionné de la Bintje, avant de se désoler du vol de son panneau connu de tous les automobilistes qui circulent sur la D764 qui va de Guémené-sur-Scorff à Pontivy.
D’aucuns considèrent aujourd’hui la Bintje comme une variété hors du temps, trop sensible aux maladies. Ce qui lui vaut de ne plus représenter que 65 ha de plant sur les 6 500 ha que compte Bretagne Plants. « Pour ma part, je pense que c’est une variété qui a encore de beaux jours devant elle. Je n’ai jamais eu d’invendus. Je suis producteur-vendeur et commercialise tout en direct à des clients de longue date. Dont beaucoup dans le nord de la France. Il m’arrive régulièrement de fournir de la semence pour le marché du jardin ».
Adaptée au terroir breton
Mais surtout c’est sur ses qualités culinaires qu’insiste Thierry Lamouric : « C’est la pomme de terre polyvalente, idéale pour le gratin, la purée et les frites. Son amidon reste stable et elle ne sucre pas trop en fin de saison. Et si certains lui reprochent d’éclater à la cuisson, c’est à cause de son taux de matière sèche élevé qui lui donne son goût si particulier qui se révèle encore plus en cuisson vapeur ». Et selon son indéfectible promoteur, la Bintje bretonne est incontestablement « la meilleure des Bintje. Une question de terroir, de climat. Et de savoir-faire ». Car la blonde néerlandaise a ses terres de prédilection : « Idéalement, on la plante après une céréale, sans excès d’azote. La rotation des cultures est déterminante pour la qualité », poursuit l’agriculteur de Cléguérec qui ne mange jamais de pomme de terre. Seulement de la Bintje.