Un surinvestissement dans le travail, sans atteinte des objectifs personnels, peut conduire à un sentiment d’échec, une baisse de l’estime de soi, un désinvestissement et, au final, à un effondrement.
« Je n’ai rien vu venir. Elle s’est écroulée en quelques semaines ». Gérard*, la cinquantaine, intervenant à une soirée organisée par la MSA sur le burn out à Sérent (56), n’a toujours pas compris l’effondrement de sa compagne, il y a trois ans. Elle gérait, avec lui, un élevage de porcs performant sur le plan technique, dans le Morbihan, sur une centaine d’hectares, avec trois salariés. « On avait une belle qualité de vie, on partait régulièrement en weekends, on prenait des vacances. Elle était passionnée par son travail ». Avant le décrochage, aussi subit qu’inattendu. « Je n’ai pas vu les signes précurseurs », regrette l’éleveur. Sylvie* a bénéficié d’une aide au répit à laquelle tout agriculteur ou salarié agricole, en situation d’épuisement, a le droit. Une dizaine de jours, pris en charge par la MSA, qui ne lui ont pas permis de reprendre pied. « Elle a également entamé une formation à la reconversion mais je crois qu’elle ne l’acceptait pas… ». Les problèmes se sont répercutés en cascade au niveau familial. Sylvie a quitté la ferme. Gérard est toujours à la tête de son entreprise. « J’ai un rapport différent avec mes salariés », confie-t-il. « J’accorde désormais plus d’importance à l’aspect humain ».
Valeur travail
Difficile de connaître les raisons précises qui conduisent au burn out. Nadia Ory, psychologue, dresse un profil des personnes à risque. « Ce sont souvent des personnes qui ont une sensibilité forte à la valeur travail. Ils sont surinvestis dans leur vie professionnelle, méticuleux, consciencieux et peuvent avoir des difficultés à réguler leurs émotions et leur stress ». Un constat de déséquilibre entre leurs propres attentes et la réalité peut conduire à une baisse d’énergie puis d’estime de soi. Jusqu’à l’effondrement. Dans le milieu agricole, l’estime de soi peut, en plus d’autres facteurs psychologiques, être mise à mal par la défiance de la société vis-à-vis de l’élevage. L’éleveur, pourtant convaincu de la qualité de son travail et des soins qu’il confère à ses animaux, se sent de plus en plus dénigré. L’agriculteur se sent jugé lorsqu’il soigne ses cultures. Les crises financières ajoutent au sentiment de déclassement.
Prendre du recul
Nathalie* a eu un problème de santé en 2015. « Je n’ai pas voulu m’arrêter car je suis perfectionniste et le remplacement coûte cher. Je subissais une pression financière qui s’est aggravée suite à un aléa climatique. J’ai nié mes problèmes psychologiques, avant de perdre pied ». Face au déni, c’est le médecin qui a imposé un arrêt de travail. Aujourd’hui, l’agricultrice assure : « Il faut réagir, prendre du recul, même si cela a un coût. Nous ne sommes pas irremplaçables sur nos fermes ». Francis*, dans l’assemblée, abonde : « Le terme arrêt de travail n’est pas dans notre dictionnaire agricole. C’est presque un gros mot. Trop d’agriculteurs ne connaissent pas la culture du bonheur ».
Épuisement
La psychologue parle de maladie de civilisation. La charge de travail n’est pas forcément en cause mais plutôt les moyens donnés pour l’assumer. Le management par des objectifs individuels pour les salariés, l’absence de collectif, la compétition ou encore le changement organisationnel. « Le chef d’entreprise doit se former à la conduite du changement », assure-t-elle. L’agriculteur employeur d’autant plus, car il est souvent à la fois décideur et opérateur. « Quand les problèmes tels que l’épuisement, la rumination, la baisse de concentration ou les maux de tête surviennent, que les vacances ne suffisent pas à alléger, il faut rencontrer un médecin ou un conseiller en prévention de la MSA et provoquer la rencontre s’il s’agit d’une personne de son entourage qui est dans le déni ». Le plus difficile, dans ce cas, est de repérer les signaux du mal-être…
RÉSEAU DE SENTINELLES
*Prénoms d’emprunts