Peu de chance de se sentir confiné quand on travaille au grand air ou dans de vastes bâtiments. Pourtant, le quotidien des agriculteurs est bouleversé aussi.
« Dès l’annonce du gouvernement demandant au plus grand nombre de ne plus bouger de chez lui, les choses ont beaucoup évolué, même pour nous », raconte cet agriculteur dont l’épouse continue à travailler à l’extérieur. « Depuis la fermeture des écoles, entre les deux traites, je garde désormais mes enfants en bas âge et leur fais classe. Résultat, les journées passent très vite et le travail n’avance pas des masses à la ferme. » Beaucoup racontent qu’ils ont vraiment appréhendé la gravité de la situation en sortant de l’exploitation. « Tout est au ralenti autour de nous. Les dépôts de fourniture agricole tournent en effectif réduit. Chacun reste à distance. L’ambiance est étrange. »
Produire, le mot d’ordre
Pour les agriculteurs, les discours du gouvernement ont fait mouche. « Nos filières n’ont peut-être pas vocation à nourrir le monde, mais les producteurs bretons aujourd’hui nourrissent la France. Heureusement que nous avons une production de masse avec des métiers très organisés. J’espère que les gens apprécient nos œufs, nos jambons, nos yaourts ! », insiste ce Finistérien. Après avoir ressenti tant de « méprise » et de « manque de considération » ces dernières années, de nombreux producteurs retrouvent de la « fierté » et se sentent vraiment « utiles ». Pour eux, dans ce monde moderne où rien n’est jamais assez bien, les gens reprennent conscience que l’alimentation est fondamentale. « Il y a quelques semaines, nous étions des pestiférés », note son associé. « Je viens d’épandre de l’engrais. En ce moment, tout le monde est à la maison. Certains m’ont fait des signes, alors que d’habitude, dans les mêmes parcelles on me prenait en photo pour me pointer du doigt ! En rentrant, je n’étais pas dégoûté comme d’habitude. »
Même « le joli mot du ministre de l’Agriculture » arrivé sur les messageries pour rappeler l’importance de leur rôle, « nourrir quand d’autres soignent et protègent », a fait chaud au cœur « pour une fois » dans cette tempête.
Mais la crainte du désordre
Pour autant, tout n’est pas rose. « La situation est pesante pour les esprits. Je sens bien que l’équipe est contente de venir travailler et de se retrouver à la pause-café, même si on se tient loin les uns des autres. Mais attention, dans nos ateliers, la main-d’œuvre salariée est cruciale. Si quelqu’un doit s’arrêter pour prendre ses enfants en charge ou tombe malade, ce sera très compliqué », met en garde un producteur de porc. Avant de rappeler que beaucoup de constructions ou de rénovations de bâtiment sont à l’arrêt faute de matériaux ou de béton. « Nous sommes un peu sous cloche. Comme chaque entreprise se contente du minimum, les choses prennent du retard. » Le secteur tourne mais il y a « un certain stress ». Livraison d’aliment, collecte du lait, départ des veaux mâles, ramassage des cochons, fermeture d’abattoirs… Tout le monde craint une rupture de la chaîne. « Si les usines s’arrêtent, que faisons-nous ? » Même à plus long terme, les agriculteurs s’interrogent. « Même la fourniture de semences est stratégique. J’espère qu’il n’y aura pas de rupture de stock. Et plus tard du monde pour récolter et transformer. »
Une autre question taraude les producteurs : dans des marchés si déstabilisés — export au ralenti, restauration hors foyer arrêtée, forte demande en produits de grande consommation (PGC), consommateurs déstabilisés —, comment seront impactés les prix et les revenus ? « En porc, pour l’instant, les animaux partent », rapporte un éleveur. En lait, les messages divergent d’une entreprise à l’autre. Hors Bretagne, des laiteries travaillant pour la RHF ont déjà demandé aux ateliers de diminuer la production. Un Breton, lui, enrageait de la récente communication de sa laiterie : « Dans le mail, on nous explique qu’il y a une très grosse demande en ultrafrais et que la Chine revient doucement aux achats, mais aussi que, sous couvert de coronavirus, notre paie sera amputée non pas de 10 € mais de 20 € / 1000 L en avril et mai pour la saisonnalité. C’est vexant ! ».
« On ne parle plus de génétique »
C’est impressionnant de voir les routes aussi vides. Je ne croise pratiquement plus que des camions laitiers et parfois les gendarmes. Les demandes d’IA se maintiennent, mais les échographies sont en forte baisse. Je remplis ma mission en prenant le maximum de précaution, en utilisant des lingettes désinfectantes et en restant à distance des gens. Sur les fermes, on ne parle plus de génétique, des défauts de la vache et du taureau à choisir pour l’accouplement. Le sujet numéro un est bien sûr le coronavirus. D’une certaine manière nous faisons du lien et diffusons l’information locale. Les éleveurs ont besoin de discuter et s’inquiètent de la durée de la pandémie.Lionel Hochet, Inséminateur chez Evolution