Dans son ouvrage « Les études de la nature », en 1784, Bernardin de Saint-Pierre écrivait que les éléphants d’Afrique furent roulés par les eaux jusqu’aux steppes de Sibérie. Il donnait pour preuve leurs gros ossements que l’on retrouve enterrés dans les forêts de conifères ! Double méprise. L’écrivain-botaniste souvent raillé croyait au Déluge et visiblement ignorait que des mammouths avaient prospéré en Sibérie il y a 50 000 ans. Avec nos yeux éclairés par les connaissances du XXIe siècle, nous sourions à ces thèses savantes fort sérieuses en leur temps. 236 ans plus tard, d’autres scènes prêtent autant à sourire : fin janvier, les requêtes Internet incluant les mots-clés « bière corona virus » ont augmenté de 2 300 % dans le monde. Les amateurs de bière ont-ils été rassurés pour autant ? Heureusement que, d’un twitt, Trump a apaisé leurs craintes en déclarant que la mortalité due au coronavirus est nettement inférieure à ce qu’annonce l’OMS. Des propos qui ont suscité l’ire des experts du Covid-19.
Autant dire qu’à l’instar des mammouths, les brèves de comptoir « 2.0 pointé » ne sont pas prêtes d’être enfouies dans les sédiments de la taïga. Comme jadis au coin du zinc, elles soudent désormais l’ignorance derrière les écrans. Dans cet océan numérique d’approximations, l’agriculture a droit son lot. Son gros lot même. L’historien Alain Corbin a raison : « Le feuilletage des ignorances s’est épaissi ». Il s’est entre autres épaissi parce que l’homme moderne apprend de moins en moins par lui-même ; parce qu’il a tendance à mettre toute « information » sur un même pied d’égalité. Parce que, à l’effort du discernement, il privilégie la confiance aveugle en de pseudo-experts et beaux parleurs comme moquait au XVIIe siècle Jean de La Fontaine dans sa fable « Le corbeau et le renard ».