Courrier collectif du réseau Produit en Bretagne, l’ABEA, l’UGPVB, Interbev, et Agriculteurs de Bretagne.
Monsieur le Président,
Dans les médias, comme sur les réseaux sociaux, la France entière exprime sa gratitude envers ses nouveaux héros du quotidien. À juste titre nous célébrons les personnels soignants mais aussi les agriculteurs, les salariés des entreprises et de la distribution, les artisans et commerçants qui sont au cœur de la souveraineté alimentaire de notre pays.
Depuis le 17 mars dernier, date du confinement, la filière alimentaire française subit un stress-test imposé par la crise sanitaire. Force est de constater sa robustesse et sa résilience. Passé l’épisode de panique des premières heures, les Français se sont raisonnés, rassurés de voir les rayons regarnis et le spectre de la pénurie s’éloigner.
Ce satisfecit ne saurait masquer ce qui fragilise notre appareil productif alimentaire national. Depuis de nombreuses années, nous constatons dans les faits la tendance à l’abandon en rase campagne de notre autonomie alimentaire pour prioriser d’autres choix politiques.
Or, la crise actuelle nous rappelle toute l’importance pour la France de disposer d’un appareil productif alimentaire performant et compétitif pour reconquérir pleinement notre autonomie. L’alimentation n’est pas un secteur d’activités comme les autres. Ici, une crise peut vite se transformer en émeutes de la faim, voire en famine. L’écrivain et journaliste américain Alfred Henry Lewis prophétisait en 1906 : « there are only nine meals between mankind and anarchy* ».
Nous faisons aussi le constat qu’une France en bonne santé est bien mieux armée pour affronter une pandémie de l’ampleur du Covid-19 : l’accès à l’alimentation est vital pour la population. Et ce d’autant plus que nous allons avoir à gérer à l’échelle de la planète des alertes sanitaires répétées. Cela nous rappelle tout l’enjeu de la maîtrise rigoureuse des techniques de production en élevage, culture et transformation. La technicité et la sécurité sanitaire française sont reconnues mondialement.
Alors que la nécessité de l’autonomie alimentaire s’impose comme une évidence à tous les Français confi- nés, il est bon de rappeler que ce n’est plus une réalité pour notre pays. Les soldes de la balance extérieure de produits agricoles de première nécessité sont éloquents :
En viande bovine, le solde de la balance extérieure est passé d’une situation positive avant les années 2000, à un déficit d’environ -400 millions d’euros en 2018 (source GEB Institut de l’Élevage),
En porc et volaille, les soldes se dégradent de façon continue depuis 20 ans : respectivement +100 mil- lions d’euros et +1 milliard d’euros à la fin des années 90, à près de -400 millions € et -500 millions d’euros en 2018 (source IFIP et ITAVI).
Les alertes répétées avec beaucoup de bon sens paysan sont restées jusqu’à ces derniers jours sans écho ni portée médiatique. Ces dernières années, la tendance était aux discours bienpensants et aux pro- grammes électoraux prometteurs, reléguant les enjeux alimentaires aux seules injonctions de montée en gamme. Le moment particulier que nous vivons nous apprend qu’il est délétère d’opposer qualité et quantité. La clé est dans une diversité assumée. Chaque modèle doit aller vers son excellence. Mais il n’y a pas plus de système unique de production qu’il n’y a de besoin unique des populations. L’alimentation ne fait pas exception à la règle.
La question est de savoir si l’alimentation des 67 millions de Français est stratégique pour notre pays, ou non. Notre responsabilité est de déterminer si en cas de crise sanitaire ou politique majeure, nous avons la capacité d’être autonome ou à l’inverse dépendant d’un pays tiers pour nourrir nos concitoyens.
Depuis des années, à force d’une constante surenchère réglementaire et d’une grande permissivité face aux attaques idéologiques visant nos productions agricoles et alimentaires, nous avons affaibli la capacité de notre pays à produire sa propre alimentation.
Dans votre discours aux Français le 12 mars 2020, Monsieur le Président, vous avez exprimé qu’il y aurait un avant et un après Covid-19. De fait, cette crise va nous obliger à changer notre façon de voir et surtout de faire le monde. Cette crise nous impose un retour brutal à des priorités que nous avions perdu de vue : un système de santé et un appareil de production alimentaire qui soient en capacité de répondre aux be- soins de 67 millions de Français confrontés à une crise sanitaire majeure.
Dans votre allocution du 13 avril 2020, vous avez constaté que le moment que nous vivons nous rappelle combien nous sommes vulnérables. Vous avez également appelé à sortir des idéologies pour construire le monde d’après. Nous partageons ces constats.
Bruno Lemaire et Didier Guillaume, s’adressant par courrier, le 17 mars 2020, aux salariés des coopératives, des PME et des industries de l’agro-alimentaire, leur indiquaient « Vous, êtes un maillon essentiel de cette chaîne d’approvisionnement. C’est vous qui fournissez une alimentation de qualité, sûre, tracée, quelles que soient les conditions que les mesures de protections sanitaires nous imposent. Les Français s’en rendent comptent, aujourd’hui plus que jamais ».
Selon le sondage Odoxa-Comfluence réalisé les 8 et 9 avril 2020 : « 93 % des Français attendent du Président de la République et du gouvernement qu’ils « garantissent l’autonomie alimentaire de la France ». Il conclue en synthèse : « Traditionnellement attaché à leur agriculture, les Français en perçoivent désormais le caractère vital avec la crise. Contestés ces derniers mois par certains acteurs associatifs, les agriculteurs vont voir leur contribution sociétale largement valorisée ».
Autant de points de convergence entre les Français, ceux qui les gouvernent et ceux qui les nourrissent.
Préserver l’outil productif alimentaire de la France, c’est protéger les Français. Dans cet objectif, nous nous vous remercions, Monsieur le Président, de bien vouloir prendre des dispositions pour :
Protéger les agriculteurs et les entreprises alimentaires françaises contre les organisations qui les attaquent impunément au nom d’une idéologie radicalisée. Nous demandons à nos élus de définir et mettre en œuvre des lois et des actes qui visent à protéger les hommes et les femmes ainsi que les entreprises qui font la production alimentaire française. Notre alimentation française est attaquée : agressions sur les personnes, intrusions en élevages et abattoirs, vandalisme et incendies de sites de production et de commerces, chantage, harcèlement et name & shame systématisé des grandes marques. Des activistes issus de mouvements radicalisés (écologisme militant, abolitionnisme…), financés par de puissantes multinationales dont ils servent naïvement les intérêts, répandent un terrorisme alimentaire. Cet état de guerre permanent déstabilise dangereusement la filière alimentaire française.
Libérer la compétitivité française : les contraintes de la surrèglementation asphyxient lentement mais sûrement la production et la conduisent à une perte de compétitivité et d’efficacité. Et là encore nous pouvons pointer un paradoxe français : affaiblir la production nationale, c’est nous exposer à la dépendance alimentaire et aux importations massives de produits obéissant à des standards de qualité, ainsi qu’à des règles environnementales et sanitaires inférieures au niveau d’excellence français. Est-ce acceptable que 87 %*** du poulet servi en restauration hors domicile en France soit importé ?
Nous ne demandons pas un blanc-seing pour produire comme bon nous semble. Nous nous inscrivons en permanence dans des démarches de progrès qui prennent en compte l’équilibre entre la réalité économique des outils agricoles et alimentaires, le respect de l’homme et de son environnement ainsi que la bientraitance des animaux. La mise en œuvre de productions durables est au cœur de notre ambition.
Dans quelques semaines des décisions seront à prendre pour favoriser une relance de l’agriculture et de l’agroalimentaire, piliers de la viabilité économique nationale. Nous nous tenons à votre disposition pour élaborer la feuille de route d’une production alimentaire française souveraine et résiliente.
Nous restons à votre écoute et vous prions, Monsieur le Président, d’agréer l’expression de notre très haute considération.
Loic Hénaff, Président Produit en Bretagne
Danielle Even, Présidente d’Agriculteurs de Bretagne
Annie Saulnier, Présidente de l’ABEA
Yves Fantou, Président d’Interbev Bretagne
Michel Bloc’h, Président de l’UGPVB
* il n’y a que neuf repas entre l’humanité et l’anarchie.
** Source : LSA/Anvol 02/02/2020
Pascal Erard
Le monde d’avant n’est pas mort et le terrorisme agro-industriel bien vivant. Rien sur le nécessaire changement du modèle agricole conventionnel qui contribue à la destruction de la planète, à la crise climatique, à l’effondrement de la biodiversité, à la déforestation… causes majeures des crises sanitaires qui se multiplient ces dernières décennies. Rien sur l’industrie et la grande distribution qui s’enrichissent sur le dos de paysans et de travailleurs agricoles sous payés. Rien sur les exportations qui viennent concurrencer les productions des paysans dans les pays les plus pauvres. Or dans ces pays, les paysans sont largement majoritaires et constituent la catégorie la plus pauvre de la populations (70% des victimes de la faim dans le monde…). Rien sur ces millions de paysans en France et en Afrique (notamment) qui inventent l’agriculture de demain (bio, agroécologie, circuits courts…). Or ce modèle conventionnel destructeur pour la planète et pour la majorité des paysans empoche chaque année, en France, l’essentiel des 12 milliards d’Euros de subventions pour l’agriculture. Les signataires de cette lettre doivent rendre des comptes aux contribuables. Cet argent doit être mis au service des citoyens et non de lobbys !