Au sortir de l’hiver, elle venait de reprendre la fabrication de ses fromages de chèvre quand les mesures de confinement ont été décrétées. Face à la menace pesant sur la tenue des marchés — son principal débouché commercial —, Joséphine Grou s’est organisée avec quelques autres producteurs de ses relations pour proposer un service de livraison avec commande en ligne. Un succès !
« Osez Joséphine », le titre phare du regretté Alain Bashung, pourrait être la bande-son de son parcours professionnel. Passionnée, volontaire, Joséphine Grou n’a pas les deux pieds dans le même sabot. Lorsqu’elle croit en quelque chose, la Finistérienne d’adoption y met toute son énergie. Et cela dépote ! Elle qui se destinait à travailler dans le milieu du cheval a changé de cap à l’issue d’un stage effectué lors de ses études en BTSA Productions animales. « J’étais en stage chez la mère d’une amie, éleveuse de chèvres. Et cela a été pour moi comme une évidence… » Le temps de bien mûrir son projet, elle travaille pendant quatre années, en tant que responsable maternité dans un élevage de porcs. « J’y ai beaucoup appris sur la technicité et le contact avec les animaux ».
Restait à trouver le site où s’installer. « Initialement, je cherchais du côté de Landivisiau. Puis un collègue m’a parlé d’une ferme à reprendre dans la campagne de Sizun ». Située dans une vallée verdoyante, au cœur des Monts d’Arrée, l’ancienne exploitation vaches allaitantes/porcs séduit la jeune femme. Elle qui ne rechigne pas à mettre la main à la pâte va être servie. Si le potentiel est bien là, il faut quand même adapter la structure à sa nouvelle vocation : le bâtiment de post-sevrage est converti en laboratoire pour la préparation des fromages, le local de maternité se mue en espace d’accueil, une salle de traite est créée… La « ferme de Joséphine » voit finalement le jour en novembre 2016.
Une nouvelle clientèle
À la tête d’un troupeau d’une soixantaine de chèvres (races Alpine et Chèvre des fossés), Joséphine a adopté un système de pâturage extensif, ses 35 hectares de surface lui assurant une autonomie alimentaire. L’intégralité du lait est transformée en fromages : crottin frais, demi-sec, aromatisé, tome, fromage blanc… Une production écoulée principalement via les 4 marchés hebdomadaires (Lesneven, Sizun, Hanvec et Brest Quatre Moulins) sur lesquels elle est présente.
« Les chèvres ne donnant pas de lait durant l’hiver, je venais de reprendre la production de fromage, début mars, avec la perspective de me refaire un peu de trésorerie ». Las, voici que l’épidémie de coronavirus et les nécessaires mesures de précaution sanitaire font planer de sérieux doutes sur la tenue des marchés. Pour l’éleveuse, qui possède également un gîte à la ferme, c’est un peu la double peine : « Pour le mois d’avril, c’était complet. Tout a été annulé… » Joséphine, qui n’est pas du genre à se laisser abattre, prend alors contact avec sa conseillère bancaire au CMB. Des reports d’échéances sont mis en place sur les principaux crédits afin de négocier au mieux cette période délicate.
Trois de ses quatre marchés étant finalement maintenus, Joséphine continue à s’y rendre pour y proposer ses produits. « La première semaine, il n’y avait pas grand monde. Je crois que les gens ont eu peur. Puis, l’affluence est revenue. Les habitués mais aussi des personnes que l’on ne voyait pas avant. Et à plusieurs reprises, des clients m’ont remerciée d’être là, avant même de dire bonjour ! »
Une prise de conscience
Face à l’explosion des commandes rencontrée par « Les fermiers du Net » — un « drive » brestois spécialisé dans les circuits courts qu’elle approvisionne —, la chevrière a l’idée de bâtir quelque chose dans le même esprit mais à sa petite échelle. Elle en discute avec le groupe de productrices présentes sur le marché d’Hanvec. L’initiative plaît. En plus des fromages de chèvre, il y aura donc de la volaille plein air, des produits laitiers, des huîtres, des crêpes, du chocolat, de la viande de bœuf, des légumes, des plantes aromatiques et des produits zéro déchet.
En un temps record, et avec l’aide précieuse de Camille, une amie venue lui prêter main-forte, le fichier clients est créé ainsi qu’un catalogue recensant l’ensemble des produits. « L’offre évolue toutes les semaines, car nous sommes principalement sur des produits frais. Nous adressons le catalogue le vendredi soir et les gens ont jusqu’au mardi soir pour passer commande. » Les livraisons sont ensuite assurées aux horaires convenus dans des points relais sur les communes de Landerneau, Landivisiau, Brest et Sizun. Un service à domicile est également possible sur ces quatre secteurs.
« En ce moment, les nuits sont courtes, avoue Joséphine. C’est une organisation complètement différente par rapport aux marchés où les clients viennent à vous. Là, il faut gérer la demande et la logistique. Cela demande un temps d’adaptation mais on s’améliore chaque semaine ! Pour moi, cette formule présente un intérêt économique certain mais cela va bien au-delà. J’ai le sentiment de rendre service. L’échange avec les clients est vraiment enrichissant et gratifiant. À travers cette crise, il y a une prise de conscience de l’importance des producteurs de proximité et du « manger local ». Dans le contexte, c’est une forme de solidarité où chacun y gagne ! »
« Conserver le lien »
C’est une belle initiative de la part de Joséphine et de ses collègues qui participent à ce projet. Ensemble, afin de compenser l’annulation de certains marchés, ils ont mis en place un service de livraison à domicile ou en points relais. Pour les producteurs, dans ce contexte compliqué, il est important de conserver le lien avec leurs clients habituels. Le système proposé leur permet de continuer à travailler, de se faire connaître sur un secteur géographique étendu. Et pour les clients, c’est la possibilité de disposer de produits de qualité, frais, tout en soutenant l’agriculture locale sur nos territoires. Céline Le Hervé Chargée de clientèle agricole au CMB, Pôle professionnel de Landerneau
Contacts : Tél. : 06 62 41 51 21
lafermedejosephine.sizun@gmail.com
Jean-Yves Nicolas