Quinze ans pour créer une nouvelle variété de graminée

 - Illustration Quinze ans pour créer une nouvelle variété de graminée
Vincent Béguier, dans la pépinière.
Semis en pépinières puis plantations en lignes, hybridation, observations au champ, la sélection d’une variété de graminée ou de légumineuse requiert de la patience.

Chaque année, une trentaine de variétés d’espèces fourragères passent avec succès les épreuves d’inscription sur les listes du Catalogue Officiel Français des Variétés. Parmi celles-ci, une dizaine de variétés de ray-grass. Pour aboutir à cette inscription, il aura fallu environ une quinzaine d’années de travail. A la base de la sélection, le matériel génétique est fourni par la diversité des espèces présentes dans les prairies naturelles, partout dans le monde. « Contrairement aux céréales, le travail de sélection des graminées et des légumineuses est récent », indique Vincent Béguier, directeur recherche et développement de Jouffray-Drillaud, producteur de semences basé dans la Vienne. « Il s’est accéléré dans les années 1970, sauf pour la luzerne, originaire de Perse et sélectionnée depuis deux mille ans par les Romains pour nourrir les chevaux ».

Démarrage de la sélection

Les graines de plantes sauvages, ou de variétés déjà connues, sont semées individuellement en mini-mottes en serre, puis les plus belles plantules sont repiquées en ligne au champ. Sur chacune des plantes, et durant 3 ans, les sélectionneurs font de nombreuses observations : démarrage en végétation, précocité, rendement au printemps, en été-automne, résistance aux maladies, montaison, pérennité, valeur alimentaire (protéines, sucres solubles, digestibilité). Le sélectionneur va ensuite croiser ces plantes entre elles, par groupe d’une dizaine, en fonction des qualités recherchées pour la nouvelle variété. Pour éviter les fécondations fortuites par d’autres plantes, elles sont isolées dans un îlot entouré d’une végétation haute (seigle) qui évite les flux de pollen étranger. Ce regroupement isolé s’appelle un polycross.

[caption id= »attachment_45759″ align= »aligncenter » width= »488″] Croisement en polycross pour créer une nouvelle variété.[/caption]

Espèces allogames

Les sélectionneurs détiennent un grand nombre de variétés synthétiques de graminées fourragères, de luzerne, de trèfles, de lotier et de phacélie. Ces espèces sont dites allogames ; le pollen d’une plante doit féconder un ovule d’une autre plante. Ces variétés synthétiques sont issues de l’inter-croisement de plusieurs plantes parentales choisies pour leurs caractéristiques. Chaque plante d’une même variété est donc génétiquement différente des autres, même si toutes se ressemblent. La valeur de la variété pour un caractère donné correspond à la moyenne des plantes de la variété pour ce caractère.

Essais en multi-sites

Les graines des plantes du polycross sont récoltées et semées en micro parcelles (quelques centaines de grammes). Des observations sont de nouveau réalisées sur 3 générations. La semence des plantes ayant montré des caractéristiques intéressantes pourra soit servir de parents dans un nouveau polycross et subir un autre cycle de sélection, soit être testée dans des essais multi-sites (Vienne, Finistère et Normandie pour le sélectionneur Jouffray-Drillaud) puis, si les résultats s’avèrent probants, présentée à un jury officiel : le CTPS (comité technique permanent de la sélection).

[caption id= »attachment_45758″ align= »aligncenter » width= »720″] Semis en ligne de ray-grass et tests de résistance aux maladies.[/caption]

Distinction, homogénéité et stabilité

Le CTPS va alors tester la variété candidate à l’inscription pendant 3 ans et dans 7 à 12 lieux en France, dans diverses conditions pédoclimatiques. Les observations débouchent sur une évaluation, la DHS : distinction, homogénéité et stabilité. « La variété doit être suffisamment distincte de ce qui existe déjà, il faut que toutes les plantes qui constituent l’échantillon soient très semblables (homogénéité) et que les caractéristiques soient bien fixées dans le temps (stabilité) ». Elle est également évaluée sur la valeur agronomique, technologique et environnementale. Les critères pris en compte varient selon les espèces : sensibilité aux maladies pour les RGA (impactant positivement la valeur alimentaire), appétence pour la fétuque élevée à feuilles souples pour un gain en consommation… Un comité d’experts composé de personnels de l’Inra, des coopératives et des sélectionneurs va ensuite émettre une cotation de la variété par rapport à des variétés témoins dans le but de la diffuser aux éleveurs.

24 graminées et 8 légumineuses en 2019

En 2019, 138 variétés de 26 espèces fourragères ont été évaluées. 43 ont été proposées à l’inscription. 32 ont été retenues dont 24 graminées et 8 légumineuses. Toutes ne seront pas utilisées par les éleveurs. Les coopératives et les négociants ne veulent pas gérer autant de variétés. La performance technique compte, tout comme le prix et la fiabilité de l’approvisionnement.

[caption id= »attachment_45756″ align= »aligncenter » width= »720″] Matériels spécifiques de récolte de semence .[/caption]

Europe et Chine, unis dans la sélection génomique

Le programme de recherche Eucleg, initié il y a deux ans, vise à réduire la dépendance de l’Europe et de la Chine aux protéines importées en développant des stratégies de sélection pour les principales légumineuses utilisées en alimentation humaine et animale. L’objectif est d’améliorer la diversification, la productivité, la stabilité du rendement et la qualité des protéines des légumineuses fourragères (luzerne et trèfle violet) et à graines (pois, féverole et soja). En utilisant des ressources génétiques diverses et variées et en bénéficiant de l’avancée des outils moléculaires (sélection génomique).

7,4 % de rendement en plus à l’automne par décennie en RGA

Une étude de 2015 a montré que le rendement du RGA s’est accru de 3,2 % par décennie, depuis 1970. Cette augmentation de production est essentiellement due à la pousse d’automne avec 7,4 % de plus à cette période, grâce essentiellement à une meilleure résistance aux maladies. Entre un dactyle inscrit il y a 30 ans et un dactyle inscrit aujourd’hui, la souplesse d’exploitation (entre démarrage et début d’épiaison) s’est accrue d’une vingtaine de jours, au printemps. Les animaux peuvent ainsi pâturer durant 3 semaines de plus une herbe qui vaut 0,8 à 0,9 UF. Pour ce résultat, les sélectionneurs ont fait des croisements entre des dactyles d’origine bretonne et des dactyles de Galice qui présentent un démarrage précoce en période de jours courts. Chez Jouffray-Drillaud, des essais de croisement sont en cours avec une variété sauvage marocaine prometteuse. Au catalogue, au mieux, dans une dizaine d’années…


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