Le lait, une histoire qui ne date pas d’hier

 - Illustration Le lait, une histoire qui ne date pas d’hier
Céramiques du site archéologique de Verson (France) analysées dans le cadre de la recherche. © Annabelle Cocollos
Des restes de lait sont retrouvés dans des céramiques datant de la préhistoire et renseignent sur les modes alimentaires de l’époque ainsi que sur les débuts de l’agriculture.

Les quelque 300 tessons de poterie en céramique datant du Néolithique et recueillis en terres européennes ont livré leurs secrets : confiés à une équipe de scientifiques et d’archéologues en provenance d’Europe et d’Amérique, ces fragments de récipients utilisés par l’homme, il y a plus de 7 000 ans, contiennent d’infimes molécules de lait. Cette découverte sensationnelle, dirigée par Miriam Cubas, de l’université espagnole d’Oviedo, permet de retracer les habitudes alimentaires des peuples du bassin méditerranéen au nord de l’Écosse, tout en renseignant sur les premières habitudes agricoles adoptées à cette époque de la préhistoire.

Lors de la préparation de repas et quand les récipients étaient chauffés, l’argile poreuse qui composait la céramique s’est distendue. En refroidissant, les poteries ont piégé de petites quantités de résidus organiques. Si ces lipides dérivés du lait se sont dégradés et transformés au fil des millénaires, la science moderne arrive aujourd’hui à discriminer les différentes molécules. Ainsi, les chercheurs sont capables avec ces résultats d’affirmer qu’il existait une consommation inégale des denrées agricoles à travers l’Europe : quand la péninsule ibérique consommait davantage de viande de mouton et de chèvre et du lait issu de ces animaux, un essor de la production laitière bovine est constatée sur les vestiges de poteries d’origine plus septentrionale.

[caption id= »attachment_45834″ align= »aligncenter » width= »588″] Prélèvement à l’intérieur d’une céramique du Néolithique. © Université d’York[/caption]

Tolérance au lactose

Ces découvertes viennent tordre le cou à certaines affirmations actuelles, qui laissent entendre que le régime alimentaire humain doit bannir ou réduire les produits laitiers, car nous serions intolérants au lactose. « Dès le début de l’agriculture, il y a 7 000 ans en Europe, les gens ont travaillé le lait et sont devenus tolérants au lactose d’origine bovine. Actuellement en Écosse, 80 % des adultes tolèrent ce lait ; ce n’est pas le cas en Grèce où la population ne consomme pas de lait cru de vache, car coutumière depuis longtemps de lait de caprin ou d’ovin », explique Grégor Marchand, archéologue et chercheur à l’université de Rennes.

« Aujourd’hui, les mutations génétiques qui permettent aux adultes de digérer le lactose présent dans le lait sont plus fréquentes dans le nord-ouest de l’Europe que dans les régions du sud », explique de son côté Oliver Craig, professeur au département d’archéologie de l’université de York, au Canada.

Disparition de la signature marine

[caption id= »attachment_45833″ align= »alignright » width= »171″] Grégor Marchand, Université de Rennes.[/caption]

Avant le Néolithique, les analyses sur les ossements des derniers chasseurs-cueilleurs montrent une forte proportion de produits de la mer dans le régime alimentaire. Sur un grand arc géographique allant du Portugal aux bordures atlantiques, le menu des populations semble avoir rapidement changé à l’arrivée de l’agriculture : les poteries ne contiennent pas de résidus d’aliments aquatiques. On peut alors penser que d’autres ustensiles que ces contenants en céramique étaient utilisés pour les repas issus de la mer. Mais Grégor Marchand fait observer que sur des analyses d’ossements humains, « cette signature marine a disparu, hormis en zone Baltique où des ragoûts de poissons étaient encore consommés ». Le balbutiement de l’élevage a donc été adopté radicalement, sans doute pour les bienfaits d’une alimentation lactée apportant des matières grasses appréciées pour résister à des températures basses. L’apport de vitamine D a aussi sans doute aidé les populations à se déplacer vers des latitudes plus élevées, dont l’exposition au soleil est réduite.

Une orientation laitière

L’analyse d’ossements d’animaux apporte aussi son lot d’enseignements quant à la structure des troupeaux. « Ces études montrent l’orientation laitière ou de viande des animaux. Les analyses révèlent des sevrages précoces des jeunes animaux pour une production laitière, ou au contraire des sevrages plus tardifs pour une production de viande ». Ces grands choix illustrent déjà une maîtrise des élevages, mais aussi des denrées alimentaires. « On retrouve des traces de faisselle dès le début de l’introduction de l’agriculture », note Grégor Marchand. L’élevage et les productions agricoles ont été, sont et seront toujours au cœur des peuples ; il est parfois bon de le rappeler.

Les recherches se poursuivent à Bodilis (29)

Patrick Picart, ami de Grégor Marchand et agriculteur à Bodilis (29), continue ses recherches de pièces datant du Mésolithique et du Néolithique sur ses terres. Avec l’aide de Lola Hauguel-Bleuven, l’équipe cartographie précisément divers outils ou pointes de flèche en pierre trouvés dans ses champs cultivés, afin de déterminer leur déplacement dans le temps sous l’effet du travail du sol. « Ces pièces ne bougent quasiment pas dans le temps. Certaines suivant leur profondeur, sont restées là depuis le mésolithique », observe l’éleveur finistérien.


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