La nature épouse naturellement le temps de la lenteur. Au rythme des quatre saisons, cette lenteur biologique chemine en marge de notre époque qui célèbre le mouvement, l’accélération, la vitesse, la course contre la montre. L’agriculteur se trouve aujourd’hui tiraillé entre ce tourbillon frénétique dans lequel il est lui-même emporté et ce temps lent contraint par la nature. Au mieux, le paysan peut-il dans son métier accélérer un peu les choses avec les techniques agricoles : cultiver des tomates sous serre pour gagner quelques semaines ; alimenter les animaux pour réduire leur durée d’engraissement ; « azoter » une prairie pour activer la pousse de l’herbe.
Aujourd’hui, les nouvelles technologies promettent un nouveau gain de temps. Sauf que l’agriculteur, comme ses contemporains, mesure rapidement à quel point ces outils lui volent en fait son temps. « Je n’ai plus de temps à rien » est un poncif de l’humain connecté. Taylor eut été aux anges de pouvoir compter sur ces puces omnipotentes qui surveillent et multiplient à l’envi la cadence. Et qui, par cascade, ne laissent plus de temps à la flânerie, ce terreau propice à l’introspection. Voire propice à un certain ralentissement perçu dans nos « temps modernes » comme l’ennemi de la performance. Ainsi en va-t-il du mouvement « slow food » qui invite à ralentir, à célébrer le plaisir, la nourriture simple et la vie rurale ; ou du « slow city » qui prône de son côté une vie apaisée en opposition au rythme effréné des villes. Parce que la lenteur avoisine quelque part le temps de l’éternité, les paysans d’antan savaient qu’en prenant leur temps, ils ne le perdaient pas. Ils avaient choisi leur camp : celui de cette lenteur qui donne de la valeur au temps. À leur manière, ils étaient des « slow farmers ».