Venu du Danemark, le concept SyreN permettant d’acidifier lisiers et digestats au moment de l’épandage débarque en France. Ce dispositif présente des intérêts agronomiques et environnementaux.
La société Mauguin-Citagri, fabricant de tonnes à lisier basé à Saint-Berthevin (53), vient de signer un contrat d’exclusivité de trois ans concernant la distribution en France du système danois SyreN. Ce dispositif embarqué, installé à l’avant du tracteur lors du chantier, permet d’acidifier le lisier directement au moment de l’épandage.
Baisser le pH pour éviter la volatilisation de l’azote
Si l’intérêt agronomique et environnemental d’abaisser le pH des déjections est identifié depuis longtemps, sa mise en œuvre n’est pas forcément si simple. Morten Toft, le concepteur de cette innovation, explique : « Au Danemark, il existe trois approches pour acidifier le lisier. Directement dans les bâtiments mais c’est un procédé délicat et dangereux. Dans les fosses mais cette méthode a tendance à doubler le volume de lisier à l’arrivée et donc le besoin en capacité de stockage, sans oublier que la présence d’une phase solide et d’une phase liquide réclame deux fois plus d’acide pour obtenir la baisse de pH attendue. Et enfin, notre technique d’acidification au champ, lors de l’épandage, qui est la plus efficace et la moins coûteuse. »
Sa société Biocover (5 salariés) a lancé, il y a 12 ans, son premier prototype de SyreN. Après une phase de développement, le dispositif dans sa forme actuelle est disponible depuis déjà 7 ans. Ce concept s’est d’ailleurs rapidement imposé au Danemark et est en train de conquérir l’Allemagne. « Aujourd’hui, dans mon pays, l’épandage de lisier sur prairie ou sol ‘noir’ à l’aide d’une rampe pendillard est tout simplement interdit sans l’usage couplé de l’acidification. Sans ça, le recours aux enfouisseurs est obligatoire, mais avec un moindre débit de chantier et une consommation de carburant plus importante », précise le spécialiste danois.
Dans la pratique, une cuve d’acide sulfurique protégée par une solide armature est installée sur le relevage avant du tracteur. Lors de l’épandage, un circuit sécurisé injecte dans le lisier une quantité précise d’acide en fonction du pH visé à l’arrivée. Cela va avoir une influence importante sur les propriétés physico-chimiques de la matière. Kevin Gremy, en charge du développement chez Mauguin, rappelle que 70 % de l’azote total du lisier est sous forme ammoniacale. « Et 20 à 80 % de cette dernière fraction sont perdus par évaporation dans l’atmosphère suite à l’épandage, en fonction de la matière sèche, de la météo, du type de matériel utilisé…
L’acidification va limiter la pollution de l’air et des milieux en réduisant la volatilisation et les risques de lessivage de l’azote par les pluies et par la même occasion augmenter la quantité de fertilisant disponible pour les cultures. » Comment ? En dessous de pH 7, l’azote ammoniacal (gaz) volatil passe sous la forme de sel d’ammonium, plus stable et assimilable par les plantes. En dessous d’un pH de 6,5, il n’y a plus d’ammoniac et on constate, en prime, une optimisation de la disponibilité d’autres éléments du lisier (phosphore, manganèse…). « Au Danemark, on incorpore en moyenne 1,5 L d’acide sulfurique / m3 de lisier de porc et 1 L / m3 de lisier de bovin. Mais cette dose sera supérieure pour abaisser à pH 6,4 un lisier qui titrait 7,5 au départ », détaille le concepteur danois. Ainsi, sur céréales par exemple, cette simple acidification optimise l’azote épandu.
Apporter une fertilisation soufrée bon marché
Et Morten Toft de poursuivre : « Les engrais soufrés sont chers, les agriculteurs le savent. Or l’acide sulfurique est la source de soufre la moins coûteuse du marché : 0,5 à 0,6 € / L. » Il rapporte ainsi qu’au Danemark, sur colza ou sur herbe, la majorité des agriculteurs utilisent SyreN pour gérer les apports de soufre avec l’idée d’aller chercher 10 à 20 % de rendement en plus. « Dans ce cas, on acidifie bien davantage. On détermine au préalable la quantité d’acide sulfurique à intégrer au lisier pour répondre aux besoins des cultures gourmandes en soufre. Cette quantité sera alors significativement plus importante. Jusqu’à plus de 5 L / m3 pour un colza. » De même, les digestats de méthanisation au pH généralement basique réclament une dose plus importante d’acide pour optimiser azote et autres éléments fertilisants qu’ils contiennent.
Doubler les systèmes en service chaque année Le Danemark doit réduire de 40 % ses émissions d’ammoniac. Si on acidifie 100 % des lisiers épandus dans le pays, ce problème sera réglé… À l’heure actuelle, 154 systèmes SyreN sont en service dans 8 pays d’Europe du Nord. Et a priori bientôt en France. Même si notre petite société n’a pas eu les moyens de prospecter à grande échelle depuis l’invention du dispositif il y a 12 ans, partout, les états sont confrontés à l’obligation de baisser l’émission de gaz à effet de serre dont l’ammoniac. Dans ce contexte, j’espère doubler le nombre de SyreN en circulation chaque année pendant les dix prochaines années… Morten Toft, Concepteur du SyreN
tarsiguel
Bonjour,
Acidifier le lisier alors que les sols bretons sont déjà acide par nature? Ce n’est pas très logique… Aujourd’hui encore, on continue d’apporter du carbonate pour faire remonter le pH.
On lit dans l’article : « En dessous d’un pH de 6,5, il n’y a plus d’ammoniac et on constate, en prime, une optimisation de la disponibilité d’autres éléments du lisier » pH moyen d’un sol breton : 6,3. On est déjà bons!
Autant je comprends l’argument d’augmenter l’azote disponible en diminuant le pH, mais pas dans le contexte breton!
Toma Dagorn
Effectivement, la question de l’acidification dans le contexte de sol déjà acide comme en Bretagne a été soulevée lors de la présentation. Le concepteur danois du SyreN a précisé, d’une part, que la quantité de lisier apportée ne suffisait pas à faire évoluer le pH du sol, mais qu’en contrepartie, notamment dans l’utilisation pour apport de soufre qui est synonyme de plus forte quantité d’acide et donc de pH plus faible encore, au Danemark, il y avait du chaulage. D’autre part, il a rapporté que diverses études menées et financées par l’Europe montraient que cet apport de lisier acidifié n’avait pas d’impact négatif particulier sur la vie du sol. Le concept arrive en Bretagne. Il doit être testé, suivi, notamment par la Chambre d’Agriculture. Peut-être que des enseignants-chercheurs pourront également donner leurs avis ou échanger avec le concepteur ou les représentants de Mauguin afin que les agriculteurs et la société en général aient le meilleur conseil autour d’une innovation qui, par ailleurs, a des intérêts agronomiques et environnementaux.