Les primeurs du bout du monde poussent sur l’île de Quéménès

A1 - Illustration Les primeurs du bout du monde poussent sur l’île de Quéménès
Amélie et Étienne produisent entre 7 et 8 tonnes de pommes de terre primeur sur une surface d’un hectare. Le reste des terres cultivables (4 ha) est consacré aux tardives, aux alliaciées et à la rotation des cultures.
Depuis janvier 2018, Amélie Goossens et Étienne Menguy ont changé de vie. Sur un confetti maritime en mer d’Iroise, ils cultivent des primeurs et accueillent des touristes en maison d’hôtes.

« Agriculteur, c’est un métier ultra-complet qui nous a permis de prendre conscience qu’on ne peut pas tout maîtriser, que c’est la nature qui décide et qu’il faut savoir rester humble. Quand vous passez une journée à arracher des pommes de terre bonnes à jeter, ça vous apprend la persévérance ! »
Devant un thé bien chaud, Amélie et Étienne racontent une curieuse aventure de « Robinsons maraîchers » qui, au terme de leur troisième récolte, prennent un peu de recul et se livrent à cœur ouvert.
« Notre vie a basculé en six mois. Juillet 2017 : on apprend que le Conservatoire du littoral cherche un couple pour vivre à Quéménès. Les candidats doivent défendre un projet d’usage agricole et touristique de l’île tout en respectant un cahier des charges strict (lire encadré). On avait envie de changer de vie. On est venu sur place, puis, en marchant sur le chemin de Compostelle, on a réfléchi à un projet. Le dossier est déposé fin septembre, un mois plus tard : feu vert du Conservatoire ! »

Étienne quitte alors son bureau d’études et Amélie un poste de chargée de mission au sein du Pays Centre Ouest Bretagne. Le couple quitte également Plérin, rachète à ses prédécesseurs le matériel agricole et le mobilier des chambres d’hôtes et démarre son projet reposant sur trois piliers : produire des pommes de terre, accueillir des touristes et confier l’entretien de l’île à un troupeau de moutons. Plus simple à formuler qu’à mettre en œuvre sur un confetti maritime d’à peine 30 hectares . D’autant que, même s’ils peuvent s’appuyer sur les partenaires habituels (Chambre d’agriculture, Gab 29, Office du Tourisme…), ni l’un, ni l’autre n’ont la moindre expérience agricole.

Cela dit, ils ne manquent pas d’atouts : volonté de faire, capacité à travailler en réseau, motivation d’entreprendre et d’opérer ses propres choix : « Demain, si on décide de faire de l’asperge, ça va nous prendre une soirée et on n’aura pas 36 personnes à nous poser des limites… Et si cela ne marche pas, on passera à autre chose ».

Primeurs et alliacées

Une réactivité essentielle à leurs yeux : « La première année, au moment de récolter les pommes de terre de conservation, on a eu du taupin : les 4/5e bonnes à mettre à la poubelle. Alors on a pris la décision de miser sur la primeur et de vendre notre récolte tout au long de la saison, sans stocker. On y a ajouté la culture d’oignons et d’échalotes et la cueillette d’algues, dont on valorise une partie en bocaux. »
Ayant opté pour l’acquisition progressive de leur capacité professionnelle, Amélie et Étienne ont jusqu’au 1er mars 2021 pour que l’activité agricole devienne leur principale source de revenus : « Mais c’est déjà le cas, se félicitent-ils, le reste provient des chambres d’hôtes ».

[caption id= »attachment_48137″ align= »aligncenter » width= »720″]A2 Si Étienne s’occupe essentiellement du travail de la terre, Amélie gère le commercial et l’accueil des touristes en chambres d’hôtes.[/caption]

Douceur et embruns

En trois saisons, le couple a beaucoup appris : « Ici l’avantage, c’est la douceur . Il ne gèle jamais, par contre, il y a les embruns. L’île est basse ; un coup de vent et le sel brûle les feuilles. Même si nos plants sont à l’abri des murets, on doit poser un voile de protection sur les premiers plantés ».
Autre contrainte : transporter et commercialiser la production : « On a dû beaucoup démarcher pour créer un réseau d’une quarantaine de magasins bretons (épiceries fines, petits primeurs, magasins bio et quelques restaurants). On travaille avec eux en direct, sans passer par les grossistes, parce qu’on veut garder la maîtrise, mais il n’est pas exclu que cela évolue ».

En saison, leur cycle de travail devient hebdomadaire : « On programme un jour de livraison puis on prend les commandes ». Une fois les sacs et cageots préparés, Étienne les embarque sur son bateau et rejoint le port du Conquet où l’attend sa camionnette. Seuls quelques clients éloignés (parisiens ou nantais) sont livrés par un transporteur. Reste la communication : « Là-dessus, pas trop de souci à se faire, les reportages sur l’île suffisent à drainer la clientèle pour la maison d’hôtes ». Quant aux primeurs : « On a créé un affichage magasin pour valoriser les conditions exceptionnelles de leur production ».
Ça y est, les tasses de thé sont vides… Étienne part terminer une commande, Amélie doit relancer quelques clients : interview terminée. La journée de travail peut reprendre avec, en toile de fond, la présence d’un troisième personnage qui ne cesse de les conforter dans leur choix de vie : la mer.

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Cas unique en Bretagne

Le Conservatoire du littoral a pour vocation d’acquérir des sites fragiles et menacés afin d’y établir une protection définitive. En 2003, il rachète Quéménès située à la pointe Finistère dans l’archipel de Molène. D’ordinaire, les sites sont gérés par des techniciens de collectivités territoriales, mais pour Quéménès, le Conservatoire a choisi une toute autre approche : installer une famille vivant en autonomie et assurant deux principales missions. La première consiste à s’occuper du patrimoine : entretien et préservation des paysages, de la biodiversité, des espaces naturels et du bâti. La seconde à accueillir le public. Libre aux « heureux élus » de développer une activité économique viable respectant le cahier des charges. Redevables d’un loyer, ils sont tenus d’habiter l’île à l’année, d’avoir le permis bateau et de n’utiliser ni traitements, ni fertilisants. Par ailleurs, s’ils entretiennent les prairies avec un troupeau, celui-ci ne doit pas excéder les 30 animaux.

En 2007, pour accompagner l’installation des premiers locataires et les rendre autonomes, le Conservatoire a investi 600 000 € dans la réhabilitation des bâtiments, la pose de panneaux solaires, l’installation d’une éolienne et d’un système de récupération et de filtration des eaux de pluie. Deuxième couple à s’installer, Amélie et Étienne ont signé une autorisation d’occupation temporaire de neuf ans : « On n’allait pas lâcher nos CDI, une maison et tout ce qui allait avec pour une courte durée sachant qu’il faut au moins deux ans pour mettre en place un projet agricole ». En dépit d’une saison d’accueil contrariée par la crise sanitaire, la récolte 2020 a été bonne et les choses semblent désormais bien en place. Étienne et Amélie veillent cependant à maintenir un échange régulier avec le Conservatoire pour lui permettre de suivre l’évolution des activités et de se rassurer sur leur volonté de remplir les missions de protection qui leur ont été confiées.

Pierre-Yves Jouyaux

Amélie Goossens & Etienne Menguy / Île de Quéménès, 06 30 61 27 48
www.quemenes.bzh


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