Les nouveaux bâtiments porcs se mettent à l’heure du bien-être animal : maternités liberté, puits de lumière voire courettes extérieures. Cette évolution entraîne des surcoûts qu’il faudra financer.
En maternité, le choix des spacieuses cases « liberté », réalisé par beaucoup d’éleveurs qui construisent à neuf, est bien plus coûteux que celui des cases « bloquées ». Christine Roguet, ingénieur de l’Ifip, estime que le confort des 800 000 truies allaitantes françaises demanderait 1 milliard d’euros d’investissement (construction et rénovation), si la réglementation évoluait dans le sens du bien-être animal. Du côté de l’engraissement, la facture serait tout aussi salée. Une baisse de densité (de 0,7 m2 à 1 m2/porc), équivaudrait à 2,5 milliards d’investissement, à l’échelle nationale. Ces nouvelles conduites ne garantissent pas une amélioration suffisante des résultats techniques pour amortir les surcoûts. Il faut chercher le financement ailleurs.
Poche du consommateur
La solution la plus simple consiste à faire payer le consommateur en lui donnant des informations sur le mode d’élevage (étiquetage). Les enquêtes montrent que le citoyen est prêt à payer plus cher. Le consommateur ne suit pas. Face au rayon jambon, le Français est, en premier lieu, attentif au prix, puis à l’origine et à la date limite de consommation, selon un sondage Ifop de 2018. Le mode d’élevage ne vient qu’en 10e position des critères de choix. Une même enquête montrait, en mai 2019, que 92 % des sondés voient d’un bon œil la mise en place d’un étiquetage sur ce thème. Seuls 54 % se disent prêts à payer plus cher pour cela. Et ce n’est qu’une intention… Seule la viande de volaille bénéficie actuellement d’un étiquetage sur le bien-être animal, dans certaines enseignes de la distribution. « Le retour au maillon de l’élevage n’est pas évident », indique Christine Roguet. Les ONG (Organisations non gouvernementales) exercent un lobbying au niveau européen. Cette année, en Italie, des partis politiques ont fait des propositions pour un étiquetage du porc.
L’Allemagne veut une taxe
La fiscalité pourrait financer les mesures liées au bien-être animal. Le rapport Borchert, de 2020, en Allemagne, propose quelques solutions : l’augmentation de la TVA sur les produits animaux, de 7 à 19 % qui tomberait dans les caisses de l’État ; une imposition générale qui aurait l’inconvénient de faire payer aussi les non-consommateurs ou une taxe d’accise* sur ces produits animaux, directement affectable au bien-être qui équivaudrait, selon les calculs du ministère, à 35 € par personne et par an, en moyenne. Des politiques allemands veulent porter ce dossier pendant leur présidence du Conseil de l’UE. Les problèmes rencontrés par la filière porcine depuis la découverte récente de cas de peste africaine (sanitaire, abattoirs…), pourraient faire passer l’étiquetage au second plan des priorités. Du moins pour un temps…
Solliciter la Pac
La politique agricole commune, sur son second pilier, pourrait financer une partie des investissements liés au bien-être animal. Les länders allemands utilisent déjà les programmes de développement rural régionaux (PDRR) pour les maternités en liberté, par exemple. En France, le Plan de relance prévoit d’affecter 100 millions d’euros au pacte « biosécurité/bien-être ». « Pour prétendre à ce type d’aides, la filière doit, au préalable, savoir ce qu’elle veut faire et définir un plan d’actions ». Veut-elle vraiment s’engager ? Les risques existent. Les frontières ouvertes maintiennent la concurrence entre les pays membres de l’Union européenne. Si tous n’adoptent pas les mêmes règles… Des taxes aux importations devront être instaurées avec les pays tiers (hors UE). Dans le cas contraire, le confort des cochons bretons pourrait conduire à l’augmentation des importations et à l’arrêt des élevages les plus fragiles.
* La taxe d’accise atteindrait 0,40 € par kilogramme de viande ; 0,02 € par kilogramme de lait et d’œufs et de 0,15 € par kilogramme de fromage, beurre et lait en poudre.
Philippe Bizien, Président du CRP
Marché réel ou marché rêvé ?
Il ne faut pas inciter les éleveurs à s’engager dans des impasses techniques et économiques. C’est ce qu’il s’est passé en Angleterre, il y a quelques années. Attention à ce que les bâtiments dits du futur ne soient pas ceux du passé. La filière est en mouvement, déjà engagée dans une démarche de progrès. Nous avons des choix à réaliser et nous devons prendre des décisions éclairées. Sommes-nous face à un marché réel ou face à un marché rêvé ? Entre la demande du citoyen et la capacité du consommateur à acheter, il y a un pas… Nous devons y aller doucement ; la Covid-19 nous rappelle que le consommateur veut d’abord des prix accessibles. Nous devons rester compétitifs par rapport à nos voisins ; sinon ils exporteront chez nous.