L’asperge ou le challenge permanent d’un légume exigeant

6758.hr - Illustration L’asperge ou le challenge permanent d’un légume exigeant
Travail physique et méticuleux, la cueillette de l’asperge dépend aussi de la qualité des saisonniers. Leur fidélisation est un enjeu majeur pour l’entreprise agricole qui veut développer cette culture.
Cultiver et vendre l’asperge, c’est relever quotidiennement un challenge d’une subtile complexité. En témoignent Frédéric et Laura Poupard, producteurs bio à Longué-Jumelles dans le Maine-et-Loire.

« Si on a pu surmonter la chute brutale de la demande en début de confinement, c’est parce qu’on s’est battu pour vendre, tout en réduisant notre production, ce qui nous a doublement pénalisés : baisse du prix et baisse du rendement de la main-d’œuvre… Mais on n’avait pas le choix, on était vraiment en tension ! ».
‘‘Travailler en tension’’ : l’expression revient comme un leitmotiv dans la bouche de Frédéric Poupard et pour cause… Pendant la période de récolte, le suivi et la commercialisation de l’asperge nécessitent un véritable numéro d’équilibriste que ce producteur accepte de nous dévoiler.  

C’est dans la vallée de la Loire entre Angers et Saumur que poussent les asperges de L’Angevine sur près de 75 hectares. Au plus fort de la saison, l’entreprise agricole emploie quelque 20 équivalents temps plein, bras indispensables pour cueillir, conditionner et expédier 400 tonnes d’asperges dans toute la France. À la tête de l’Angevine, Frédéric et Laura Poupard, convertis au bio en 2006. Une orientation compréhensible pour des agriculteurs attachés à produire une « asperge fraîche, simple et bonne ».    

La plante avant les volumes

Tout commence par le soin apporté aux cultures. Les Poupard ont fait le choix de privilégier la plante sur les volumes récoltés : « Notre faible densité de plantation et une terre bien oxygénée nous permettent de conserver les rhizomes jusqu’à une quinzaine d’années. Les rangs sont espacés de trois mètres, ce qui fait du vent un allié naturel capable de disperser les maladies. On utilise également des solutions bactériennes contre les chenilles défoliatrices. Nos buttes sont hautes, gage de moindre rendement mais d’une qualité supérieure ! Autrement dit, on essaie de travailler avec rigueur et de ne pas sur-récolter notre asperge pour en faire une plante rustique ».
Voilà pour les bases, vient ensuite la maîtrise des quantités produites qui, elle, relève d’une équation à deux inconnues : conditions climatiques et variation de la demande. Au quotidien, sa résolution constitue à la fois le sel et le stress du métier. Pour y parvenir, c’est-à-dire « faire le bon produit au bon moment », Frédéric et Laura disposent de plusieurs leviers.

« D’abord, en jouant sur les différentes variétés (précoces – semi-précoces ou tardives), on peut échelonner la récolte de la fin février à la fin juin. À nous, ensuite, d’adapter les techniques aux changements météo. Les nuits pouvant encore être froides en début de saison, les variétés précoces sont paillées et installées sous tunnels fermés. En gagnant quelques degrés, on déclenche notre production au plus tôt ». Logique inverse quand il fait chaud : la butte est alors en plein air recouverte d’un film plastique blanc qui renvoie la lumière et maintient une certaine fraîcheur dans la terre… Retourner ce film, blanc d’un côté et noir de l’autre, est d’ailleurs un moyen efficace de freiner ou booster la pousse de l’asperge pouvant gagner jusqu’à 20 cm en une nuit ! Et si la production s’emballe, Frédéric et Laura peuvent encore soustraire une partie de la récolte et la mettre en conserve.
Ainsi, les deux producteurs s’ingénient à suivre au plus près l’évolution du marché pour pouvoir négocier leurs prix au jour le jour avec les acheteurs.

[caption id= »attachment_48983″ align= »aligncenter » width= »720″]6759.hr La mise en conserve est un des moyens utilisés pour absorber les pics de production et limiter les invendus.[/caption]

Fidéliser la main-d’œuvre

Autre point délicat à maîtriser : la main-d’œuvre. L’embauche des saisonniers se fait au fil des semaines, se calquant sur la montée en puissance de la production. Parmi eux : des Français, des Espagnols et majoritairement, des Polonais. Ces travailleurs, L’Angevine tient à les fidéliser parce que récolter de l’asperge ne s’improvise pas : « On fait en sorte d’avoir toujours les mêmes, des cueilleurs efficaces et appliqués ». L’un des arguments pour les garder étant d’allonger la saison, Frédéric et Laura ont développé des cultures qui prolongent leur période de récoltes : fraises, patates douces et tomates. « Cette diversification représente désormais 30 % de notre activité ».
Reste à comprendre comment tenir la distance dans ce système complexe et tendu : « L’asperge a l’avantage d’offrir de l’indépendance. Rien ne nous oblige à travailler avec une coopérative ou un groupement. Cela dit, on tient à échanger régulièrement avec d’autres producteurs sur tout type de problèmes, techniques ou de main-d’œuvre ». Autant de soutiens précieux pour Frédéric et Laura qui l’affirment sans détour : « Si on veut pouvoir durer, il faut, en permanence, avoir en tête l’esprit de remise en cause ! »

Pierre-Yves Jouyaux.

Faire face au virus ensemble

«On est habitué à travailler sous pression, mais là, avec la Covid-19, ça a été très dur », témoigne Frédéric Poupard. Le 16 mars tombe l’annonce du confinement, moins d’un mois après le début de la récolte. Bouleversement du marché, il faut s’adapter. Vite ! « L’asperge est tout sauf un produit de première nécessité, la demande s’est effondrée d’un coup. Il a fallu freiner brutalement la production en ouvrant les tunnels. Par chance, il s’est mis à faire très froid… Et puis, au bout de deux semaines, la demande est repartie, d’abord dans les magasins de producteurs et les Biocoop. Il faut reconnaître que les grandes et moyennes surfaces (GMS) ont joué le jeu en achetant prioritairement français sans en profiter pour casser les prix. Le paradoxe, c’est que le consommateur s’y est habitué. Si bien qu’à la sortie du confinement, les GMS n’ont pas pu se retourner tout de suite vers la production étrangère ».

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Mais au-delà de ce choc productif et commercial, c’est d’abord l’aspect humain que Frédéric tient à souligner quand il évoque les conséquences de la crise sanitaire sur l’entreprise : « On a pris conscience de notre grande fragilité parce qu’on savait très bien que si l’un de nous était contaminé, tout s’arrêtait. J’avais peur qu’un matin l’ensemble des saisonniers partent en se disant : ‘‘Il y a peut-être un cas, quelqu’un a trop toussé’. Sans test disponible, c’était la loterie et malgré 20 ans d’expérience, la pression psychologique était très pesante. Alors, on s’est dit qu’il fallait rester solidaires face au virus : limiter les sorties, appliquer les gestes barrières, partir du principe qu’on était une petite communauté saine et qu’il fallait éviter de se mélanger. Tout le monde a joué le jeu. Les habitudes se sont vite installées, même si au début c’était difficile de ne pas se serrer la main ! ». Frédéric Poupard marque une pause, puis lucide, conclut : « On a eu la chance d’avoir des saisonniers qui ont accepté de travailler… Pour gagner leur vie, bien sûr, mais je crois qu’ils ont aussi pensé à l’entreprise ».    

Pour en savoir plus
Frederic & Laura Poupard
L’Angevine, 49 160, Longué-Jumelles
02 41 38 87 69. www.langevine.fr


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