Pendant 10 ans, la photographe Madeleine de Sinéty a photographié Poilley, une petite commune bretonne. L’exposition « Un village » rend compte de ce travail sans relâche.
Issue d’une famille noble, Madeleine de Sinéty (1934-2011) a passé les étés de son enfance dans le château Renaissance de son arrière-grand-mère en Indre-et-Loire. Des fenêtres de l’imposante bâtisse, par-delà les jardins, elle apercevait une ferme. Un monde vivant et inconnu qui lui était interdit…
Plus tard, au début des années 70, alors qu’elle travaille comme illustratrice à Paris, au retour de vacances en Bretagne, elle quitte la nationale embouteillée et prend une route de traverse. Quelques kilomètres plus loin, elle gare sa voiture dans un tout petit village pour la nuit. Le lendemain, elle se réveille à Poilley (35), sort sa bicyclette de l’automobile, parcourt cette campagne inconnue et croise quelques personnes. Le début d’une aventure humaine de plus d’une décennie entre la voyageuse arrivée par hasard et les habitants.
Suite à cette rencontre fortuite, Madeleine de Sinéty quitte aussitôt Paris (où son mari américain travaille pour une organisation internationale) et s’installe dans cette commune de 550 habitants à l’époque, à 15 km au nord de Fougères. Rapidement, elle se lie d’amitié avec des familles et trouve sa place à Poilley. « Autodidacte, elle se met alors à photographier les habitants. Sans finalité, sans commande… », explique Jérôme Sother, directeur artistique du Centre d’art GwinZegal à Guingamp (22). Sans relâche, l’artiste documente ainsi le quotidien du village de 1972 à 1982. De ce travail assidu, elle a laissé derrière elle 33 280 diapositives couleur et 23 076 négatifs noir et blanc.
[caption id= »attachment_49387″ align= »aligncenter » width= »720″] Travaux agricoles et jeux des enfants sont au cœur du travail de la photographe.[/caption]
Des images en couleur inédites
Accompagnée de Peter, fils de Madeleine de Sinéty, l’équipe du Centre d’art s’est plongée dans cette collecte documentaire monumentale. Un travail de fourmi pour créer « Un village », une exposition inaugurée en septembre dernier. « Seules quelques images en noir et blanc avaient été présentées aux États-Unis et à la Bibliothèque nationale de France auparavant. De notre côté, nous nous sommes concentrés sur le fonds de diapos », explique Jérôme Sother. Avant de souligner le côté « Ovni » de l’artiste dont la force de l’œuvre vient bien sûr de la masse d’images réalisées et du temps passé en immersion au milieu des gens. « Mais aussi du recours à la couleur qui était, à l’époque, réservée aux amateurs ou à la publicité alors que le noir et blanc demeurait la discipline-reine des artistes photographes. Rappelons-nous que la première exposition en couleur date de 1976, au Moma à New-York… »
[caption id= »attachment_49386″ align= »aligncenter » width= »720″] Pendant 10 ans, les habitants de Poilley (35) ont été immortalisés par la photographe.[/caption]
À l’arrivée, 240 clichés ont été retenus pour un accrochage de 60 cadres accompagné d’une projection de 180 photos pour recréer l’ambiance des grandes soirées diapos que l’artiste organisait régulièrement en réquisitionnant les bancs de l’église pour asseoir tout le village dans la salle communale. « Nous avons cherché de bonnes images, mais aussi à respecter son œuvre, ses obsessions de photographe, en montrant ce qu’elle a voulu laisser. Dans cette profusion, il y a des moments et des sujets importants. » Comme la question « omniprésente de la relation de l’homme à l’animal » qui renvoie aux interrogations contemporaines de notre société sur la mise à mort… Le fonds compte ainsi des centaines d’images consacrées à l’abattage à la ferme du cochon.
« Ces images font appel à notre imaginaire collectif »
Saison après saison, les travaux des champs rythment « ce flux de photos prises en continu, tous les jours, tout le temps » : labour, fumure, fenaison, ramassage de la paille ou des fagots, récolte des pommes… « La photographe semble fascinée par les gestes ancestraux des gens des fermes. Le spectateur perçoit une vie relativement dure, autour de tâches manuelles. Mais aussi la place de l’entraide et du partage lors des chantiers. » Dans les bistrots et commerces, à l’école des sœurs, lors des bals et des fêtes, pour les naissances, mariages ou enterrements… Derrière son objectif, Madeleine de Sinéty balaie les existences. Ses images nous plongent dans le huis clos intime de toute communauté rurale de l’époque. « Univers quasi autarcique dont on n’avait pas besoin de sortir », confie Jérôme Sother. L’artiste documente en fait un moment charnière de l’histoire : « La mutation d’un monde rural qui n’a quasiment pas bougé depuis des décennies vers un monde assez proche de celui d’aujourd’hui. » On en perçoit les stigmates : le cheval omniprésent cède sa place au tracteur, le remembrement… jusqu’à l’exode rural et l’éclatement de la vie en communauté. « Madeleine de Sinéty fait appel à notre imaginaire collectif. Cette vie qu’elle montre a été vécue par les plus anciens d’entre nous ou a été contée aux plus jeunes. C’est pourquoi l’exposition ‘ Un village’ porte ce nom si générique. Elle raconte Poilley comme elle parle de n’importe quel autre village de campagne d’antan. »
[caption id= »attachment_49384″ align= »aligncenter » width= »720″] Madeleine de Sinéty a photographié avec fascination les travaux des champs.[/caption]