Francis Bucaille est installé dans la Nièvre. Un terrain de jeu qui l’a conduit à découvrir – redécouvrir – l’agronomie. Rencontre avec ce cultivateur-auteur autodidacte dont l’ambition est « de faire réfléchir la profession ».
Dans votre livre, vous parlez de « l’intelligence naturelle des écosystèmes ».
Sur Terre, les steppes, les savanes, les prairies, forêts se sont développées de façon harmonieuse. Leur production annuelle est souvent impressionnante : 30 t de matière sèche par hectare et par an, sans apport d’intrants. La maladie et le parasitisme y sont cantonnés à des niches écologiques étroites. On ne peut qu’être admiratif devant cette symphonie jouée sans ratés par des milliards de micro-organismes, des millions d’insectes… L’intelligence du vivant est en pleine action.
C’est ce que vous préconisez de reconstituer dans les sols agricoles ?
Oui, je propose un modèle bio-inspiré. Nous devons mieux connaître les rouages de la vie, du sol. Autrement dit, regarder humblement le génie de la vie. Et se poser les questions basiques : pourquoi les plantes cultivées seraient-elles obligatoirement malades alors que les écosystèmes naturels ne le sont jamais ? Pourquoi les prairies sont-elles asséchées en été alors que les bords de route sont toujours verts ? etc. Vous voulez la réponse : parce que l’on s’est affranchi d’assolements agronomiques au profit d’assolements économiques.
Et comment le paysan peut-il voir le « génie de la vie » dans son sol ?
Avec une bêche. La bêche est l’outil principal de l’agronome. Elle permet d’ausculter la terre : son degré éventuel de compaction, le tracé des racines… Nous estimons qu’au moins 80 % des problématiques aériennes des plantes sont liées au fonctionnement des sols. Donc il faut aller voir ce qu’il s’y passe.
La mode est au non-labour. Vous émettez cependant quelques réserves…
Les TCS (techniques culturales simplifiées) ne sont pas un but mais des outils. Dans certains sols en TCS, nous avons également des semelles de non-labour. À l’inverse, il faut arrêter les labours profonds.
Certains agriculteurs ont ressorti la charrue agronomique qui laboure à 10 cm de profondeur. J’observe que le non-travail du sol est parfois excessif pour l’écosystème notamment en l’absence de macroporosité. Ce que je préconise c’est le moins de travail du sol possible mais autant que nécessaire.
Quid de la captation du carbone ?
Le stock de carbone n’augmente pas systématiquement avec les TCS. De même, le retour du labour après pratique d’agriculture de conservation n’est pas de nature à réduire massivement les stocks de carbone dans les sols. Le critère « travail du sol » n’est donc pas le seul facteur déterminant sur la séquestration du carbone. La sénescence, la maturité des débris végétaux restitués au sol est l’autre composante essentielle du stockage à long terme.
Vous écrivez que les « cides » ont un impact sur les résistances naturelles des sols.
Le recours massif à l’agrochimie a des effets secondaires non intentionnels sur la vie du sol. En supprimant des organismes souvent méconnus, quelquefois antagonistes, certains pathogènes qui n’avaient jamais pu s’exprimer jusqu’alors le peuvent car la place est libre. Les parasitoses sont les voyants rouges de nos agrosystèmes.
Ceci dit, les « cides » ont parfois des effets « positifs » transitoires dans les sols. L’utilisation de certains insecticides s’accompagne souvent d’un coup de fouet immédiat sur la croissance végétative. Ils semblent agir comme un engrais. Une hypothèse est d’envisager que la destruction de la vie du sol libère des éléments nutritifs contenus en quantité abondante dans le vivant. Au final, cela revient à décapitaliser le réservoir. Il convient toutefois de conserver une trousse d’urgence, car on ne combat pas des fléaux comme la rouille et le mildiou avec des tisanes.
Vous qualifiez les engrais verts de « salade » défavorable à la matière organique des sols.
Je veux dire par là qu’avec les engrais verts peu lignifiés, on privilégie la flore bactérienne favorable à la minéralisation au détriment des champignons qui sont des constructeurs d’humus. On se trompe en pensant que les engrais verts accroissent durablement les taux de matière organique. Et on peut s’interroger sur cette course actuelle à celui qui produira le plus de salade à l’hectare…
Les engrais verts ont besoin des ruminants, affirmez-vous.
Il est courant d’entendre que les engrais verts fonctionnent comme les prairies. C’est oublier le rôle essentiel du ruminant dans le cycle biologique d’une prairie. Les ruminants digèrent tous les sucres digestibles et rejettent les fibres ; de plus ils lèvent la dormance des spores de nombreux champignons qui doivent passer par le tube digestif pour germer. En revanche détruire ou enfouir un engrais vert trop jeune est favorable à la microflore minéralisatrice.
Pas de chaux pour amender les sols non plus ?
Chaux vive ou chaux éteinte sont à proscrire. Ces produits sont biocides : ils brûlent les tissus vivants. Ils génèrent en général de bons résultats à court terme sur le rendement mais au prix d’un déstockage de matière organique, d’une perte importante de macrofaune.
Pour en savoir plus : « Revitaliser les sols », 215 pages, publié aux éditions Dunod, est disponible sur de nombreux sites de livres au prix de 35 €.