Pour régler une situation conflictuelle entre son père récemment sorti du Gaec et ses salariés, Jérôme (1) a fait appel à la médiation.
Dans le Gaec à 3 associés d’une exploitation maraîchère familiale morbihannaise depuis 4 générations, les deux parents et le fils – installé depuis 2008 – avaient des rôles bien répartis. Les parents souhaitaient poursuivre leur activité jusqu’à 65 ans. L’idée était de diminuer progressivement les heures de travail des parents pour un départ en douceur. Mais le père décide soudainement à 62 ans d’arrêter et de faire valoir ses droits à la retraite. La mère partira en retraite 4 ans plus tard, à l’âge de 65 ans.
Jusque-là, rien d’anormal et une décision qui peut se comprendre après une carrière de dur travail physique. L’effectif de salariés a donc été revu à la hausse pour compenser ce manque de main-d’œuvre.
Des mots blessants brisant des relations de confiance
« Puis, avec le temps, un malaise est apparu. Du temps du Gaec, je gérais seul la main-d’œuvre. Mon père était à la production et à l’entretien. Mais quand il est sorti de la structure, un conflit s’est créé entre lui et les employés. Ces derniers se sentaient observés, épiés et jugés. Voire, quand je partais en vacances, il s’est mis à gérer les salariés dans mon dos. Et, sans être diplomate, à briser des relations de confiance que j’avais mis des mois à bâtir, juste en quelques mots, en quelques secondes… », raconte le jeune maraîcher.
Des responsabilités déléguées aux salariés
« Certes, ce n’est pas facile de tout quitter, pour une personne qui n’avait pas de vie sociale, pas de hobby extraprofessionnel. L’entreprise, c’était sa vie », analyse son fils. Et comble de sollicitation pour le père : lui habitait sur place, le jeune résidant plus loin. « Mon père était ‘carré’ sur tout. Moi je ne l’étais peut-être pas assez à ses yeux. Du semis à la plantation, de la récolte à la vente… Seul à gérer l’exploitation, je sais mais je ne peux pas tout faire. L’exploitation a évolué et ne ressemble plus à celle sur laquelle je me suis installé : j’ai formé des personnes polyvalentes et j’ai appris à déléguer, à donner des responsabilités à mes salariés. » Aujourd’hui, l’exploitation tourne avec 7 salariés (6 équivalents temps plein), dont une personne responsable de la pépinière des semis, tout étant géré sur place.
« Le regard et le jugement hâtif de mon père sur les personnes étaient envahissants. » Personne n’arrivant à le raisonner, il ne restait qu’une seule ressource : la médiation. Aussi, Jérôme a décidé de faire appel à Agrimédiation, service qu’il avait découvert lors d’une formation sur le management.
Les médiateurs ont su nous faire parler
En tant que demandeur, il a d’abord échangé au téléphone avant de rencontrer en physique les médiateurs. « Et avant d’en parler à mon père… Nous appréhendions sa réaction ! Finalement, il l’a bien pris. Peut-être en ressentait-il lui aussi le besoin ? ». Ce travail d’échange s’est étalé sur une année, avec des rencontres plus fréquentes au cours des 6 premiers mois et un bilan, 6 mois plus tard. « Nous l’avons tous bien vécu. Les médiateurs, anciens agriculteurs, savaient comment nous faire parler, pour que personne ne se ferme à la discussion. On aurait pu vivre cette phase comme un échec, mais la médiation est avant tout un outil pour aller vers du positif. Au final, l’outil s’est révélé efficace car les relations se sont apaisées. Mon père a aussi trouvé des activités extérieures à l’exploitation, au grand soulagement de tous. Je n’ai aucun regret même si, sur le coup, j’aurais préféré investir dans d’autres actions pour mes salariés ». Mais avec le temps, Jérôme se rend compte que ces 1 200 € déboursés se sont révélés un investissement sur du long terme, pour le bien-être de tous les acteurs de l’entreprise.
« Nous sommes redevenus complémentaires »
« Sur la gestion des salariés, mon père n’intervient plus. En culture non plus. C’était peut-être sa façon de m’adresser un compliment dissimulé, en voyant que je gérais l’exploitation… Nous sommes redevenus complémentaires, comme avant, où il m’alerte sur les signes de faiblesses des serres qu’il aperçoit avant moi, ou lorsqu’il me fabrique des outils sur-mesure, qu’il aurait aimé construire de son actif mais pour lesquels il n’avait pas trouvé le temps nécessaire… », sourit l’agriculteur.
(1) Prénom d’emprunt
2/3 des cas dans de petites structures
Le relais médiation est né dans le Morbihan et a été étendu à toute la région Bretagne, en maintenant une démarche de proximité, avec des interlocuteurs départementaux. Il repose sur 27 bénévoles, agriculteurs ou agricultrices en activité ou retraités, formés à l’écoute et à la gestion de conflits. Sur 37 contacts en 2020, 16 médiations ont été engagées. Et, nouveauté cette année, près de 85 % concernaient une demande dans un cadre familial : conflits entre générations, en couple ou entre frères associés. Les 2/3 des cas étaient représentés par des associations contenant 2 personnes.Nathalie Darras Animatrice réseau Agrimédiation
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Une bonne entente entre associés : « Pour la pérennité des exploitations »
Comment définiriez-vous Agrimédiation en quelques mots ?
[caption id= »attachment_50767″ align= »alignright » width= »219″] Catherine Maudet, présidente de la caisse Groupama de Montauban-de-Bretagne (35).[/caption]
Agrimédiation est une organisation portée par la Chambre d’agriculture de Bretagne qui peut venir en aide aux agriculteurs en société pour gérer des situations conflictuelles, par manque de communication, de dialogue. La structure les met en relation avec des agriculteurs et agricultrices actifs ou en retraite, qui ont la connaissance du métier, pour les amener à trouver des solutions, pour apaiser ces situations conflictuelles, renouer le dialogue et continuer à travailler ensemble.
En quoi ce thème vous sensibilise ?
De plus en plus d’agriculteurs choisissent de travailler en société, comme moi. Il faut apprendre à travailler à plusieurs, vivre ensemble, accepter des caractères différents, afin de trouver sa place. Une bonne communication, c’est aussi la base d’un bon fonctionnement pour tout entreprise, sa pérennité et la santé des gens qui y travaillent. On a beau écrire qui fait quoi dans les statuts, il ne faut pas oublier de se poser de temps en temps autour d’un café et en discuter, car les intérêts des uns et des autres peuvent évoluer avec le temps. Même si ce n’est pas facile, il faut être prêt à remettre à plat ce qui a été notifié. Mais pour cela, il faut avoir envie d’en parler et que tout le monde soit apte à entendre qu’il y a des choses qui ne vont pas et ce, avant que la situation ne soit trop compliquée à résoudre et que les conflits ne soient trop ancrés. La médiation avec des tiers peut aider à en parler, à relativiser les problèmes, avoir un œil extérieur…
Quel est votre rôle à Agrimédiation ?
En tant qu’élue à Groupama, je représente la structure à Agrimédiation 35. En tant que partenaire, outre l’appui financier pour la formation des bénévoles médiateurs, notre rôle est de faire connaître cette médiation, en externe comme en interne.