Les producteurs d’endives bretonnes sont une poignée à faire perdurer la tradition de cette culture qui a su se moderniser au fil du temps. L’offre s’est segmentée, les cours sont porteurs.
Dans la famille Abiven, l’endive, on connaît. Depuis trois générations, ces cultivateurs de Kerlouan (29) ont dans leur rotation ce légume feuille. Depuis son installation en 1992, Xavier Abiven en a vu des vertes et des pas mûres. « De 200 producteurs, nous sommes rapidement retrouvés à une vingtaine. La réforme de la Pac de 1992 a poussé des céréaliers de la Somme à se mettre sur le courant porteur de production de racines. Ici, il y a eu énormément de départs ». Dans les années 2000, un effet ciseau est observé par de nouvelles cessations d’activité « mais sans baisse des volumes, avec en plus une diminution de la consommation ». Les étés caniculaires de 2003 et de 2006 ajoutent un peu plus de tension sur un climat déjà morose, avec des attaques de puceron lanigère qui divisent par 2 ou 3 les rendements à l’hectare. Aujourd’hui, comme dans de nombreuses filières agricoles, la génération d’après-guerre fait valoir ses droits à la retraite. Sur le secteur de Kerlouan, « 80 % d’entre nous ont plus de 50 ans. La production pourrait s’arrêter du jour au lendemain », note Xavier Abiven. Paradoxalement et depuis quelques années, une situation beaucoup plus clémente se dessine sur les marchés. « La distribution est très en demande de produits locaux. Parfois, on n’arrive pas à fournir. Nous proposons des marques de distributeur, il y a aussi de la vente à terme. On n’aurait jamais imaginé cela dans le passé ».
Conditions idéales en Pays Pagan
La situation géographique des communes spécialisées dans l’endive donne un net avantage par rapport aux autres bassins de production. La région Nord, poids lourd de la culture avec plus de 90 % des volumes, souffre depuis 3 saisons de gros problèmes climatiques cumulés, avec des vents d’est pour les semis et des étés caniculaires. « Le Nord a produit 15 % de moins », chiffre Xavier Abiven. À l’inverse, le Pays Pagan représentant les communes allant de Plouguerneau à Goulven bénéficient de conditions idéales. « Quand le thermomètre grimpe à plus de 30 °C à Lille, en Belgique ou aux Pays-Bas, Kerlouan reste à 20 °C. On sent un net avantage depuis 3 campagnes ». Résultat : des prix qui s’affolent au fil du temps, passant d’un peu plus de 1 € en 2019 à un pic à 3 €/kg en avril 2020.
Segmentation comme en tomate
L’endive a aussi su jouer la carte de la segmentation, en étoffant sa gamme de produits traditionnellement récoltés après 21 jours de pousse dans l’obscurité. Ainsi, la Carmine, marque déposée, côtoie les jeunes pousses cueillies à 14 jours. « Elle est plus petite et plus goûtue ». Si le Nord de la France est encore leader sur ce segment, les Bretons ont pris ce créneau depuis 15 mois. « Nous nous rapprochons de ce qui a été fait il y a quelques années en tomate », compare Xavier Abiven, pour illustrer cette augmentation de l’offre.
Sur les 26 maraîchers finistériens, près de la moitié cultive les feuilles blanches en agriculture biologique, « ce qui baisse les volumes de production, tout comme les jeunes pousses ». De 20 000 t dans les années 2000, la Bretagne offre 6 000 t aujourd’hui aux marchés. Le terroir de production peut s’appuyer sur une Cuma moderne qui n’a cessé d’investir dans du matériel de conditionnement précis. Ainsi, la Cuma de l’Hermine s’est équipée d’une peseuse associative en 2014.
Le couvre-feu couve le feu
Les deux derniers confinements ont fait s’envoler les cours, « les magasins sont devenus les seuls lieux de liberté pour les consommateurs. Cela a été pour nous un appel d’air au printemps dernier, quand nous étions en pleine production alors que le Nord terminait sa campagne ». Depuis, le couvre-feu instauré à 18 h se ressent sur le marché : « Nous nous sommes rapprochés du coût de production de 0,80 €/kg ». Malgré tout et grâce à un déficit de marchandise, les prix ont tenu le coup.
À l’avenir, Xavier Abiven espère « apporter du grain à moudre à nos coopératives. Il existe de belles structures à reprendre qui ne nécessiteront pas d’agrandissement, qui sont tout à fait viables ». Le cultivateur imagine la création de petits outils collectifs capables de fournir localement la grande distribution. La technicité de la culture et les besoins en main-d’œuvre sont grands, ce qui explique en partie les éventuels freins des jeunes générations pour se lancer dans ce type de débouchés. Pourtant, l’endive a toujours trouvé sa place dans les assiettes, et séduit par sa simplicité de préparation.
Un produit ultra-frais
L’endive est un produit extrêmement frais qui demande à ne pas être trop manipulé. Nous travaillons sur un emballage spécifique avec microperforations pour une bonne conservation, même si l’emballage ne fait pas tout. Les colis d’endive en vrac reçoivent des feuilles bleues opaques pour garder un maximum de blancheur. Les jeunes pousses récoltées à 14 jours rendent le goût moins amer que les endives classiques. La piste d’une appellation d’origine n’est pas écartée, même si son obtention est difficile et demande entre 10 à 15 ans. Doriane Charlou, Chef de produits chez Prince de Bretagne