C’est une exposition sans précédent qui s’apprête à ouvrir à Plouigneau (29) : les bénévoles de l’écomusée proposent de faire découvrir les premiers modèles d’ensileuses, ainsi que leur évolution dans le temps. L’occasion de rappeler des souvenirs à certains.
« J’avais 15 ans pour ma première journée d’ensilage. Dès le début du chantier, une chaîne est passée dans l’ensileuse et a abîmé les couteaux et contre-couteaux », se souvient Jean-Yves Teurnier. Le Finistérien raconte son souvenir de cette journée de récolte de 1981 comme si c’était hier, « il y a eu une brique et demie de frais sur la machine », selon l’expression financière en vigueur à l’époque…
Pour faire revivre ces chantiers d’un temps passé, l’équipe de bénévoles de l’écomusée de Plouigneau (29) a rassemblé des machines de récolte de 1969 jusque 1983. « Nous sommes prêts à ouvrir cette exposition dès que possible », espère Jean-Yves Teurnier qui a dû reporter cet événement l’an passé à cause de la crise sanitaire. Avec l’aval des élus de la commune trégorroise, c’est sans doute l’exposition la plus aboutie dans le domaine public en France qui s’apprête à s’ouvrir aux visiteurs. L’Ignacien a pu « peaufiner l’exposition. Nous aurons au total 7 machines, avec de nombreux panneaux explicatifs ».
[caption id= »attachment_53539″ align= »aligncenter » width= »720″] Les bénévoles de l’association sont prêts pour l’exposition.[/caption]
De l’ancêtre à du matériel plus contemporain
L’histoire des plantes coupées finement commence autour de 1850 avec de l’ajonc pilé dans l’auge à l’aide d’un maillet. « Les jeunes pousses de l’année étaient ainsi tranchées, puis mélangées à du trèfle ou de l’herbe fauchée, pour remplir les estomacs des chevaux et leur apporter de l’énergie ». Peu à peu, l’opération s’est mécanisée pour pouvoir stocker le fourrage nécessaire à l’alimentation des animaux, avec l’utilisation de hache lande.
À la fin des années 60, « mon père s’est associé avec un oncle pour créer une ETA à Morlaix (29) avec une batteuse. La 1re ensileuse est arrivée en 1974, année de récolte catastrophique, à cause de quantités astronomiques d’eau tombées dans les champs. Les militaires sont même venus aider les cultivateurs à couper les maïs pour les apporter aux ensileuses sur le bord de la route. Il n’y avait pas encore de machines automotrices ». Des chantiers compliqués et dangereux, qui coûteront deux phalanges au père de Jean-Yves Teurnier, « alors qu’il essayait de débourrer la machine ».
Place à la fête
La récolte démarrait dès juillet, avec le détourage des parcelles « pour créer un passage au tracteur. C’était une corvée ! ». Ces cannes de maïs coupées étaient étalées sur les pâtures pour nourrir le troupeau.
D’autres mauvaises années ont succédé à 1974, comme en 1981 ou en 1987, année de passage de tempête. « Les anciens étalaient le maïs sur les taupinières à l’aide de croc, ou coupaient à la faucille les plants de maïs restés au champ pour ne pas gaspiller. Il y avait du monde partout, ça fourmillait ». Parfois, le temps d’enlever le « talbenn », la remorque s’enfonçait dans un tas d’ensilage mal tassé « ou se couchait. Il y avait un aspect festif ; souvent les machines marchaient mieux le soir venu que le jour, on avait l’impression d’aller plus vite la nuit tombée ». Ce rude travail avec tracteur sans cabine exposait les chauffeurs à des giclées de maïs en plein visage…
Avec l’agrandissement des fermes, « les silos ont apporté beaucoup plus de sécurité. En revanche, les calendriers sont devenus plus serrés. Avant, on avait le temps ». Mais Jean-Yves Teurnier rappelle que le monde agricole est toujours solidaire pour les chantiers de récolte, « il faut toujours des bras pour couvrir le tas », résume-t-il. « Les puissantes ensileuses d’aujourd’hui servent aussi à la production d’énergie, comme lors de récolte de miscanthus », fait observer le passionné de machinisme.
[caption id= »attachment_53540″ align= »aligncenter » width= »652″] Cette photo datant de 1943 montre une auge où l’ajonc était pilé à l’aide d’un maillet. © François de Beaulieu.[/caption]
Des larmes au démarrage des moteurs
Le responsable de l’écomusée le sait, cette exposition risque de susciter intérêt et vive émotion chez certains visiteurs. C’est peut-être la Hesston 77 30, équipée d’un caisson et dédiée à la récolte de luzerne pour fabriquer des bouchons qui fera remonter des souvenirs. Ou alors ce modèle du même constructeur américain, doté de petites roues à l’avant et de roues motrices arrière « qui se plantait à coup sûr en cas de mauvaises conditions ». À moins que ce ne soit le Polygroup Garnier qui suscite le plus d’intérêt, car ce prototype de 1969 a vu le jour selon l’idée de Robert Laviec, entrepreneur de Plourin-lès-Morlaix (29), d’ajouter un moteur auxiliaire sur une ensileuse 2 rangs pour en augmenter la puissance. Une centaine d’exemplaires de ce modèle verront le jour, chassés par l’arrivée des automoteurs. On dit que les paroles s’envolent et que les écrits restent ; Jean-Yves Teurnier rédige ici une page dans le grand livre des souvenirs agricoles. « C’est un pur bonheur de démarrer les moteurs, on les rend vivants. Parfois, les gens pleurent en entendant le bruit des moteurs. C’est qu’on a visé juste », conclut le bénévole qui a un moteur dans le cœur.