De nombreuses voix, politiques ou scientifiques, s’élèvent pour réclamer des protéines végétales dans les assiettes. Problème, les légumineuses françaises ne sont pas au rendez-vous.
Un monde s’achève. Celui où chaque Français consommait plus de 80 kg de viande par an. Un produit carné deux fois par jour, souvent de piètre qualité, sous forme de nuggets, de saucisses reconstituées ou de morceaux intégrés dans des plats préparés. C’est en tout cas la vision et surtout le souhait de Michel Duru, chercheur à l’Inrae, qui intervenait en ligne, lors des 3e rencontres francophones sur les légumineuses. « Il y a urgence ; il faut une rupture, un changement de paradigme », estime le défenseur d’une agriculture plus durable. « Les 2/3 de nos besoins sont couverts par des protéines d’origine animale. Il faut rapidement inverser le rapport ».
Les légumineuses sont, selon lui, au cœur de cette nécessaire transition des systèmes alimentaires et agricoles. « Elles doivent remplacer une partie des viandes, trop riches en acides gras saturés et dont la production est fortement émettrice de gaz à effet de serre. Elles apportent des fibres, garantes d’un bon fonctionnement du microbiote intestinal ». Passer du régime occidental à un régime méditerranéen afin d’abaisser les maladies chroniques (cardio-vasculaires, diabète, obésité…). « Une chance, cette évolution vers plus de végétal dans l’alimentation a des effets bénéfiques pour la société au niveau du climat, de la biodiversité, de l’eau, de la déforestation, des zoonoses et de la santé ». Leur place dans l’agriculture peut être fortement augmentée, pour l’alimentation humaine et animale. Il préconise des systèmes herbagers « vertueux » en lait et des ateliers d’engraissement de porcs et de volailles du type Bleu Blanc Cœur (oméga 3) mais prévient : « viser l’autonomie de l’élevage en protéines n’est pas suffisant. Il faut plus de légumineuses dans les assiettes ».
Recherche délaissée
Laurent Rosso, directeur de Terres Univia, interprofession des huiles et protéines végétales, acquiesce mais évoque les défis à relever pour intégrer les légumineuses à graines (féveroles, lentilles, pois chiches, lupins…) dans les rotations agricoles et dans l’industrie agroalimentaire. « Nous avons du retard en amont et en aval pour les légumineuses à destination humaine. Les rendements sont trop variables, la gamme de variétés insuffisante et la filière peu structurée ». Les protéagineux souffrent aussi de faibles rendements, souvent en raison des ravageurs (bruche). Le soja est tributaire de l’irrigation dans le sud de l’hexagone et n’est pas assez précoce plus au nord. Le manque de recherche variétale, les problèmes de logistique (stockage, segmentation) et l’accès au marché pénalisent le développement des cultures. « Le plan protéines, qui prévoit d’augmenter la surface de légumineuses de 40 % en trois ans doit permettre de lever les freins. Cette première étape est la plus difficile. Elle aura un effet structurel ». La production française pourrait souffrir d’un manque de compétitivité. Sans labellisation de la production, elle se fera doubler par les importations. Le consommateur acceptera t-il de payer ses poulets nourris aux protéines françaises et ses pois chiches locaux un peu plus cher ?
Éviter les importations
Les produits bio peinent à se faire une meilleure place dans les rayons ; le prix est le frein principal. Les légumineuses auront un souci d’une autre nature pour conquérir les assiettes : leur appétence. Pour le directeur de Terres Univia, les priorités pour l’alimentation humaine sont claires : « Il faut communiquer vers les jeunes et les familles, leur faire connaître les produits, insister sur la durabilité du système, renforcer l’information auprès des prescripteurs (professionnels de santé), diversifier l’offre et innover au niveau culinaire ». Dans leur grande majorité, les scientifiques sont d’accord : l’alimentation humaine va se végétaliser. Mieux vaut produire les protéines localement qu’importer. Les territoires se sont emparés de la problématique (projet Légumineuses à graines du Grand Ouest, nommé Leggo). Au niveau national, le plan protéines devrait apporter des moyens pour structurer les filières et lancer les productions à belle échelle.
Des desserts à base de féverole Nous accompagnons les entreprises agroalimentaires en élaborant des recettes pour l’alimentation humaine. Nous développons des procédés de fermentation des légumineuses pour améliorer les propriétés nutritionnelles et sensorielles. Nous proposons des desserts à base de féverole. Sa teneur en protéines est élevée, elle est disponible en local et elle a un intérêt gustatif, contrairement à beaucoup d’autres légumineuses, peu acceptées par le consommateur. Pour l’approvisionnement, nous travaillons avec une coopérative, selon un cahier des charges précis (variétés, qualité). Les rendements sont encore relativement faibles. Pour autant, les attentes des consommateurs sont là ; nous devrons y répondre tout en apportant une valeur ajoutée aux producteurs. Élise Bourcier, présidente de la start up C&Dac (formulation d’aliments)