Il est courant de dater à 2015 l’entrée de plain-pied de la production laitière dans la mondialisation. Bien plus tôt dans les faits. Ainsi, en 2008, quand la DGCCRF mettait fin aux recommandations interprofessionnelles sur le prix du lait, n’était-ce pas déjà une entreprise de déconstruction de la citadelle protectrice laitière ? Alors, d’aucuns se mirent à rêver que ce que l’on perdrait par les prix, on le rattraperait par les volumes. Oubliant, dans l’euphorie de la suppression des quotas, que le marché des matières premières était aussi un terrain de jeu sans frontière. Avec des effets que l’on mesure pleinement aujourd’hui sur les approvisionnements en intrants.
Côté aval, loin des bras de fer codés de l’interprofession régionale pour fixer le prix du lait, les titans planétaires du secteur orientent désormais les cours jusqu’à la cour de ferme. Subtil mélange de stratégie commerciale et financière, de géopolitique, le tout mouillé d’incertitudes climatique et sanitaire, et de potentielle pénurie alimentaire mondiale, le prix du lait est « global », alors que le lait-matière première reste intrinsèquement « local ». Dans le grand transbahutement mondial de marchandise, le lait n’a en effet pas toujours la souplesse logistique d’une barre de fer.
Et puis, dans une Europe culturellement laitière, agiter le chiffon rouge d’une hypothétique pénurie de production n’effraie pas les industriels. C’est même l’inverse si l’on en croit les récents propos confiés à la presse par Daniel Jaouen, directeur général Lactalis de 2010 à 2020, à l’occasion de la promotion de son livre « Lactalis à la conquête du monde » : « Le problème du marché français, c’est le niveau de collecte. Lactalis, c’est 5,3 milliards de litres de lait en France avec beaucoup d’excédents. »