La « déprise laitière » alimente les fantasmes. Le terme de réorganisation des territoires laitiers bretons est peut-être plus approprié.
Six milliards de litres à l’horizon 2020 en Bretagne. Tracée en 2015 dans l’objectif de mesurer sa puissance aux autres grands bassins laitiers européens, la trajectoire laitière bretonne n’a pas été atteinte. L’ambitieux « Plan lait Bretagne 2020 », dessiné en 2013 dans la perspective de la fin des quotas, n’est qu’à un tiers rempli puisque le compteur laitier breton s’est arrêté sur 5,42 milliards de litres au 31 décembre dernier (5,13 milliards de litres en 2013).
Pas de quoi voir dans ces chiffres le signe d’une déprise laitière généralisée en Bretagne comme certains voudraient bien l’analyser. Si l’objectif des 6 milliards de litres n’est pas atteint, les livraisons bretonnes ont gagné 300 millions de litres en 7 ans et le recul en 2020 est somme toute modeste (- 0,5 % / 2019). S’il faut chercher un recul, c’est plutôt du côté du nombre de vaches qu’il faut fouiller : – 2,4 % en 2020 par rapport à 2019. En fait, le nombre actuel de vaches renoue avec son niveau de 2011, observe le service économie-emploi de la Chambre régionale d’agriculture. Le bond de 20 000 vaches supplémentaires enregistré en 2014 tend à se résorber, en partie compensé par un gain de productivité vraisemblablement lié à une spécialisation laitière des exploitations : 3 900 points de collecte, soit 27,5 % du total, ont disparu en 10 ans (10 249 en 2019, selon l’enquête annuelle laitière). L’analyse des chiffres sur une plus longue période dira si la légère érosion de la production en 2020 combinée à une baisse de cheptel depuis 2018 est conjoncturelle ou structurelle.
Dynamisme au Nord
Si la tendance moyenne n’est donc pas franchement à la baisse, d’aucuns pointent cependant d’importantes disparités entre territoires bretons. La région de Combourg-Fougères-Vitré à l’extrême nord-est de la Bretagne, et le Bas-Léon à l’ouest de Brest – avec son « plateau de mille vaches » sur Ploumoguer – restent les deux mamelles laitières de la Bretagne. Sur ces territoires, la dynamique laitière y est forte. Entre ces deux pointes, tout un continuum nord-breton très laitier avec les Côtes d’Armor qui connaissent un agrandissement rapide des exploitations laitières (avec 5 700 laitières, Le Mené est la commune bretonne qui compte le plus de vaches).
La vitalité laitière de ces territoires doit beaucoup à l’émulation collective. Elle entraîne avec elle le prix des terres à la hausse. Loin des 70 000 €/ha pratiqués aux Pays-Bas, le prix du foncier breton a tendance à s’échauffer là où la concurrence laitière est intense. Dans la région de Fougères, des éleveurs citent des prix de 15 000 €/ha pour des parcelles très convoitées. Ailleurs, dans des territoires à forte concurrence, des agriculteurs citent des fourchettes de 10-12 000 €/ha.
Forte érosion en Cornouaille
Passé au sud de la RN 12, changement de décor. On y parle plus volontiers de déprise laitière. Parmi les territoires les plus exposés : la Cornouaille, dans le Sud-Finistère et le Morbihan (lire ci-contre). « Certains cantons ont perdu 10 % de leurs élevages laitiers et de leur production en 5 ans ; d’autres ont même reculé de 20 à 25 % », s’alarme Jean-Hervé Caugant, président de la Chambre d’agriculture du Finistère.
Il y a quelques années, les stabulations de 70-80 vaches qui se vidaient faisaient partie du fantasme qui alimentait les conversations sur les « tas de maïs ». Aujourd’hui, chaque éleveur est capable de nommer « la » ferme qui a fermé sa salle de traite de façon anticipée. Et si le phénomène était contagieux ? Des responsables professionnels l’évoquent du bout des lèvres. Et le sujet attise les rivalités syndicales. Astreinte, espérance déchue sur la promesse du grand jour pour le prix du lait, poussent « insidieusement les éleveurs à se poser des questions », sont les explications qui font consensus chez les responsables professionnels pour tenter d’expliquer un phénomène davantage senti que chiffré. Certains responsables vont plus loin : « Les manifestations de 2009 ont laissé plus de traces qu’ailleurs ». Pure hypothèse ? Ce qui est certain, c’est que l’ambiance ainsi diffusée finit par atteindre le moral de ceux qui restent. Autant l’émulation collective participe à dynamiser un territoire, autant la démission de quelques-uns annihile les énergies.
Pour tenter d’expliquer l’évolution, les observateurs locaux rappellent que ce territoire agricole a connu une restructuration plus précocement que les autres territoires bretons ; l’assise foncière des exploitations y est plus importante ce qui autorise une réorientation vers la culture de céréales.
Cette désaffection partielle de la Cornouaille pour la production laitière ne manque en tout cas pas d’inquiéter et d’interroger Jean-Hervé Caugant, également président du Groupe de travail Herbivores de la Chambre régionale : « Si on ne produit plus le lait là où l’herbe pousse, ça pose question ». Pour cet élu, les causes de ce désenchantement pour le lait ne sont pas qu’intrinsèques à la profession : « Le tourisme y est très présent sur ce territoire ; le poids des associations environnementales y est aussi important. Sans compter qu’en Finistère, l’administration est plus tatillonne qu’ailleurs. Tout cela finit par décourager ».
+ 54 % au niveau Bretagne
Les structures finistériennes, qui historiquement sont celles qui livraient le plus de lait par élevage, ont moins progressé en volume que les autres au cours des dernières années : + 45 % de lait par élevage entre 2010 et 2019 dans le Finistère, contre + 54 % au niveau de la Bretagne. En volume livré, les élevages du Finistère restent au-dessus de la moyenne bretonne, mais ce sont désormais les exploitations laitières morbihannaises qui livrent le plus de lait par élevage. En parallèle, c’est dans le Morbihan que le nombre d’élevages laitiers a diminué le plus fortement, et dans les Côtes d’Armor qu’il a le moins diminué. Globalement, entre 2010 et 2019, c’est dans les Côtes d’Armor et en Ille-et-Vilaine que les livraisons de lait totales et par point de collecte ont le plus augmenté. Maud Marguet, Chargée de mission Service Économie-Emploi à la chambre d’agriculture de Bretagne