Le premier « bon sens paysan » est sans doute le sens de la réalité. Alors qu’on lui reproche souvent de travailler contre la nature, l’agriculteur travaille bien entendu avec la nature. Il n’est pas en opposition ; il est avec elle. Il n’a pas d’autre choix ; il le sait. Au prix de nombreux échecs, il compose en permanence avec la réalité de cette nature par définition imprévisible. Faut-il qu’il abandonne les produits phytosanitaires pour désherber ? Le voilà qu’il s’essaie au désherbage mécanique. Par approches successives, par tâtonnement, en partageant les expériences avec ses pairs, il parvient peu à peu à maîtriser la technique. Avec toujours cette prudence de celui qui sait que le résultat obtenu une année ne présage en rien celui de l’année suivante. En fait, l’agriculteur est un expérimentateur permanent. Un scientifique des champs. Pragmatique, ingénieux. Avec pour microscope ses yeux émérites et comme bagage scientifique son savoir-faire éprouvé par des années d’observation. La science n’est pas l’apanage des laboratoires. Les sciences expérimentales de la nature, même si elles ne sont pas des quêtes de savoir absolu, n’en sont pas moins des approches prudentes et solides ; avec ce sens aiguisé de l’adaptation aux situations concrètes. Le sens de la réalité, l’agriculteur l’a aussi face à la vie et donc face à la mort. Quand on travaille avec le vivant, on travaille forcément avec la mort. Oui, la vie est mortelle ! La société occidentale baignée dans un vertigineux déni du réel semble l’avoir redécouvert avec la pandémie ; pas l’éleveur qui sait pertinemment que n’importe quel « principe de précaution » ne protège pas de la mort. Et que le meilleur moyen de s’en protéger est d’être dans l’action….
Sens de la réalité