La rémunération des services rendus par les agriculteurs est dans l’air du temps. Signé l’an passé, le premier contrat breton de paiement pour services environnementaux conclu avec une entreprise privée devrait faire école. Gros plan sur cette initiative finistérienne.
Bordés de larges bandes enherbées et de talus verdoyants, ces quelque 6,5 hectares de parcelles sont situés sur la commune sud-finistérienne de Quéménéven, au cœur du bassin versant du Steïr. À la belle saison, rien ne trahit la nature humide de ces terres appartenant à Philippe Boëte. Mais le producteur de porcs (300 truies, naisseur-engraisseur) a, lui, gardé en mémoire la crue de décembre 2000. L’affluent de l’Odet était alors sorti de son lit. Après un automne très humide, les sols déjà gorgés d’eau n’avaient pu absorber les pluies diluviennes. En aval, les précipitations, conjuguées à un fort coefficient de marée, avaient plongé Quimper sous les eaux. Le niveau avait ainsi atteint 1,60 m dans les rues du centre-ville de la capitale cornouaillaise. « Ici, se souvient Philippe Boëte, le champ avait été complètement inondé. Et ensuite, lors de la récolte, on avait même retrouvé de l’herbe sur les épis de maïs… »
Mais les choses bougent. Grâce au premier contrat de « Paiement pour services environnementaux » (PSE) signé en Bretagne avec un partenaire privé, l’éleveur est désormais rémunéré pour ses pratiques culturales qui permettent à ses terres de jouer un rôle tampon primordial dans la prévention des inondations.
Le privé pour l’intérêt public
Bien connu du grand public, le principe du « pollueur payeur » consiste à faire supporter les frais inhérents aux mesures de prévention, de réduction et de lutte contre la pollution à celui qui la cause. Le PSE s’inscrit, lui, dans une logique totalement différente : celle du « bénéficiaire payeur ». L’agriculteur est alors rétribué par des individus, entreprises, associations ou acteurs publics pour les actions qu’il mène et qui contribuent à restaurer ou maintenir des écosystèmes dont la société tire avantage.
Dans le Finistère, le sujet est sur la table depuis déjà plusieurs années. « Les agriculteurs sont très impliqués dans l’entretien de l’environnement. Ils sont les premiers gestionnaires du territoire, souligne Jean-Alain Divanac’h, président de la FDSEA. Nous faisons beaucoup pour la collectivité. Et notre objectif à travers les PSE est d’être rémunéré pour ces missions ».
Dans le sillage d’un colloque organisé fin 2015 à Quimper par le syndicat d’exploitants agricoles et la Chambre d’agriculture du Finistère, l’association Alli’Homme (lire par ailleurs) voit le jour en 2018. Avec un credo clair : un PSE bâti par les agriculteurs, pour les agriculteurs. Arkéa ayant fait part de son intérêt pour la démarche, une réflexion est menée conjointement avec le département Responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE) du groupe coopératif. Et pour objet de ce premier PSE, c’est finalement la question de la régulation des écoulements d’eau sur le bassin versant du Steïr qui est retenue.
[caption id= »attachment_56156″ align= »aligncenter » width= »720″] Pour implanter en inter-rangs le semis de couvert sous maïs, la fenêtre de tir est étroite. Il faut intervenir au stade 8 à 10 feuilles. Le semoir est équipé de capteurs afin de réaliser un travail précis.[/caption]
« Nous avons identifié les agriculteurs concernés par la gestion des zones humides de ce secteur et leur avons présenté le projet, explique Charline Alenda, chargée de mission. Ensuite, nous avons co-construit le contrat avec les différentes parties prenantes ». Pour Philippe Boëte, cette approche pragmatique a été décisive. « Je ne voulais pas de quelque chose d’administratif, avec des critères imposés. Là, j’ai été associé aux réflexions. Et aujourd’hui, je suis fier de ce PSE. Cette démarche RSE à l’échelle de mon exploitation, c’est ma carte de visite ! » Même satisfaction chez Arkéa : « Cette initiative est en parfaite cohérence avec la raison d’être de notre groupe, note Daniel Caugant, responsable du marché de l’agriculture au Crédit Mutuel de Bretagne. Nous avons la volonté d’accompagner l’agriculture bretonne dans sa transition agro-responsable ».
La clé du sol
Concrètement, le contrat tripartite conclu entre l’association, l’agriculteur et le Crédit Mutuel Arkéa prévoit l’implantation de près de 2 hectares d’herbe, l’élargissement des bandes enherbées de chaque côté du cours d’eau qui traverse les parcelles ainsi que l’implantation d’un semis de couvert sous maïs. « Cette technique, précise Charline Alenda, permet d’anticiper le couvert hivernal en amont de la récolte du maïs, qui est trop tardive pour permettre le semis ». Le couvert, semé en inter-rangs quelques semaines après le maïs, stoppe ensuite son développement par manque de lumière et le reprend dès l’ensilage effectué. Ainsi, le sol n’est jamais nu. Et le dense réseau de racines facilite l’infiltration des eaux pluviales, diminue le processus d’érosion des sols et améliore leurs capacités de rétention hydrique.
D’une durée de trois ans, ce contrat « pionnier » a été pensé pour être déclinable et adaptable à diverses situations. Stockage de carbone, préservation de la biodiversité, épuration de l’eau… Les possibilités sont nombreuses et plusieurs dossiers sont d’ailleurs en cours chez Alli’Homme. Avec toujours la même priorité : « Ces PSE constituent un levier de valorisation, nous voulons défendre la rémunération des agriculteurs pour les services qu’ils rendent à la société. Et cela nous distingue d’ailleurs de certaines Start-up également présentes sur le marché ».
Jean-Yves Nicolas
Une alliance vertueuse
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