Le Gwell : ferment de modernité ancré dans la tradition

gwell 1 - Illustration Le Gwell : ferment de modernité ancré dans la tradition
Cédric Briand (à gauche) et Nicolas Guérin, co-président de l’Association des paysans producteurs de Gwell : « Loin d’une image folklorique, nous considérons que la préservation de la biodiversité domestique est non seulement gage de développement local, mais aussi de modernité ».
L’Association des paysans producteurs de Gwell – laitage fermenté issu de races bovines bretonnes – travaille activement à l’obtention d’une appellation d’origine protégée. Retour sur 40 ans d’histoire… 

« Si la démarche collective qui nous anime depuis le début fait notre fierté, nous avons aussi l’ambition d’apporter une forme d’innovation fromagère en Bretagne puisque c’est avec du Gwell que nous ensemençons tous nos fromages et produits fermentés ». Assis autour d’un café, Nicolas Guérin, co-président de l’Association des paysans producteurs de Gwell (APPB) et Cédric Briand, éleveur de Bretonnes Pie Noir à Plessé, évoquent le retour en grâce de ce produit laitier traditionnel désormais engagé sur le chemin menant à un signe officiel de qualité.  
Une distinction qui marquerait un bel aboutissement du travail accompli depuis une quarantaine d’années par une poignée de passionnés. Tous éleveurs de races locales, ils se disent réunis par la même volonté : participer à la sauvegarde de la biodiversité domestique bretonne en adaptant leur système de production aux spécificités de leurs animaux.

Politesse réciproque

C’est en 1981 que commence l’histoire du Gwell, cinq ans après le lancement du premier plan de sauvegarde des races bovines françaises. Jacques et Marie-Françoise Cochy viennent de s’installer dans le Sud-Finistère avec un troupeau de Bretonnes Pie Noir. Un jour, ils croisent le chemin de Marie Bolloré et goûtent son gros lait, laitage dont elle leur révèle la recette. Sous le charme de son onctuosité acidulée, le couple se lance le défi d’en produire à son tour. Mais dès le départ, la démarche se veut collective et partagée avec d’autres éleveurs… Ça y est, l’Union Bretonne Pie Noir est dans les tuyaux (création en 2006) et le gros lait va bientôt symboliser le renouveau de la petite vache laitière.
1993 : le collectif ainsi constitué baptise « Gwell » son gros lait. Une pirouette phonologique mixant deux termes bretons : Goell (ferment) et Gwell (bon, meilleur). La marque est déposée à l’Inpi (1) : « On ne voulait pas s’accaparer le terme – gros lait – souligne Nicolas Guérin, mais bien distinguer le nôtre fabriqué avec du lait de Bretonne Pie Noir ».
Complémentaires, le Gwell et la petite vache vont se rendre la politesse. « En lui offrant de la visibilité et une bonne valorisation de son lait, le Gwell a ajouté du sens à la préservation de cette race rustique, mais moins productive ». Quant à la star du Salon de l’agriculture 2017, elle devient le meilleur atout commercial de ce délicieux laitage fermier !  

[caption id= »attachment_57201″ align= »aligncenter » width= »720″]gwell 2 Ludovic Pouzelgues (à droite), chef étoilé, fait découvrir à Cédric Briand un amuse bouche à base de Gwell. Sur des cubes gélifiés à sa façon, il dépose œufs de truites et algues japonaises séchées puis les sert avec une coupe champagne…[/caption]

Chemin faisant, une douzaine d’éleveurs se mettent à produire et vendre du Gwell à la ferme. En 2016, épaulés par Clémence Morinière (permanente à la Fédération des races de Bretagne), ils franchissent une étape décisive en répondant à un appel lancé par l’Union européenne. Il s’agit d’aider des projets liés à la valorisation de ressources génétiques végétales ou animales. Conditions requises : le produit doit être identifié, déjà commercialisé – sans être organisé en filière – et soutenu par un groupe de personnes désireuses de le développer. L’Union Bretonne Pie Noir cochant toutes les cases, son dossier est retenu et obtient une subvention de 50 000 €. « Cela nous a notamment permis de financer les travaux menés par le laboratoire STLO de l’Inra (2) pour comprendre la microbiologie du Gwell », explique Stanislas Lubac, ingénieur agricole chargé d’animer le programme de recherche auprès des éleveurs.

Stimulé par ce travail de caractérisation, le collectif s’interroge alors sur sa stratégie de développement :
« On s’est posé deux questions, se rappelle Cédric Briand : doit-on viser l’obtention d’un signe officiel de qualité ? Faut-il ouvrir aux trois autres races bovines bretonnes la possibilité de produire du Gwell ? ». Aux deux, les éleveurs répondent par l’affirmative. Voilà comment et pourquoi ils décident de créer l’APPG en 2019, association appelée à devenir l’Organisme de défense et de gestion du Gwell s’il obtenait l’appellation.

[caption id= »attachment_57194″ align= »aligncenter » width= »720″]gwell 3 La cave d’affinage de Cédric Briand : d’une grande stabilité bactérienne, le ferment du Gwell est la clef d’un modèle fermier reposant sur une transformation diversifiée et intégrale du lait produit.[/caption]

Cahier des charges

Dès lors, toujours accompagnée par Stanislas Lubac, l’APPG entame le marathon consistant à mettre au point le cahier des charges. « Au final, il sera soumis à l’Institut national de l’origine et de la qualité (Inao). Il faut donc qu’il soit cohérent, précis, chiffré, avec des indicateurs contrôlables par l’organisme certificateur, que ce soit sur la conduite du troupeau ou la technique de fabrication ».
À la clef d’une telle reconnaissance (outre la sécurisation du produit), les producteurs de Gwell attendent qu’elle les aide à structurer une véritable micro-filière en transformation laitière : « De quoi encourager d’autres jeunes à travailler en races locales et renforcer la crédibilité de leur projet d’installation ».

Pierre-Yves Jouyaux

(1) Institut national de la propriété industrielle
(2) Science et technologie du lait et de l’œuf  

Ambassadeur étoilé…

«Caviar et Gwell, c’est une balle ! », lance Ludovic Pouzelgues à Cédric Briand. En ce jour de printemps, le chef étoilé nantais est venu rendre une petite visite à son fournisseur officiel… « J’essaie de travailler à 80 % en produits locaux. Ce que j’aime dans le Gwell, c’est avant tout l’acidité, fil conducteur de ma cuisine. Je cherche tous les moyens qui peuvent m’y amener : vinaigre, agrumes, vin blanc… Alors un laitage qui me donne ça, c’est top niveau ! ». En amuse-bouche (voir photo) ou en entrée, le Gwell a su trouver sa place sur la carte de LuluRouget, son restaurant : « Je l’additionne avec de petits condiments – échalotes confites, ciboulette, cerfeuil, menthe – un peu d’huile d’olive, un zeste de citron et cela vous donne une petite sauce qui vient relever une noix de Saint-Jacques snackée ou un poireau grillé ». À lire c’est déjà appétissant, mais à déguster !     Le Gwell, qu’est-ce que c’est ? Un lait entier chauffé à 85 °C puis refroidi autour de 30 °C avant d’être ensemencé avec un Gwell datant d’une à deux semaines, période à laquelle l’équilibre des populations microbiennes est idéal pour la fermentation. Il doit être fabriqué à la ferme puisqu’il faut utiliser une majorité de lait de la dernière traite non refroidi pour qu’il conserve ses caractéristiques. Mais la grande nouveauté réside dans l’autorisation de fabriquer du Gwell accordée aux éleveurs d’autres races bretonnes (Froment du Léon, Armoricaine ou Nantaise). « Cette ouverture a été conditionnée à la conservation de la spécificité des laits », insiste Nicolas Guérin. Autrement dit : les pots et l’étiquetage précisent les noms de l’agriculteur et de sa ferme mais également la race de vache bretonne élevée. Ne reste plus qu’à découvrir les nuances . 

CONTACTS : Association des Paysans Producteurs de Gwell :
• Stanislas Lubac, 06 30 66 51 48, contact@legwell.fr ;
• Ferme des 7 chemins, Plessé, Cédric Briand, 02 40 51 98 47 ;
• Lulu Rouget, 4 place Albert Camus, Nantes, 02 40 47 47 98.


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