Chaque année, un tiers de la production alimentaire mondiale est jeté ou perdu. Rien qu’en France, cela représente un volume de 10 millions de tonnes. Pour lutter contre ce gâchis, des initiatives se développent. Rencontre avec Jean Moreau, co-fondateur de Phénix, jeune entreprise française leader de la lutte contre le gaspillage alimentaire.
À l’aube de la trentaine, après un début de carrière mené tambour battant entre Paris et Londres dans le secteur de la banque d’affaires, Jean Moreau choisit de donner une nouvelle orientation à sa vie professionnelle. « Je m’occupais de fusions et d’acquisitions. Cela demandait beaucoup d’énergie mais manquait de sens à mes yeux ». Doté d’un solide bagage académique, il envisage un temps rejoindre le Fonds monétaire international ou une ONG, avant de découvrir l’économie sociale et solidaire, ce modèle où des entrepreneurs mettent leur expérience et leurs compétences au service de l’intérêt général. « Cela m’a paru constituer une bonne synthèse entre mon parcours précédant et le supplément d’âme auquel j’aspirais ».
Avec son associé, Baptiste Corval, ils explorent différentes pistes : le bien vieillir, les circuits courts… Avant de retenir finalement la « thématique montante du gaspillage alimentaire ». En 2014, ils se lancent et créent Phénix en investissant chacun 500 euros. Leur credo : la déchetterie ne peut pas être la destinée des denrées alimentaires invendues. Pour faire en sorte de remplacer les camions poubelles par ceux des associations, le duo développe une plate-forme connectant les grandes et moyennes surfaces avec des associations caritatives tels les Restaurants du Cœur. Le concept fait mouche. Leclerc, Intermarché, Carrefour et Franprix, entre autres, s’engagent à leurs côtés.
En digitalisant l’aide alimentaire, Phénix ne prétend pas avoir réinventé la roue. Mais la start-up a permis au secteur de franchir un cap avec une solution « 2.0 » particulièrement efficiente.
Embarquer le consommateur
Forte de ce premier succès auprès de la grande distribution, Phénix s’attelle ensuite à embarquer le consommateur dans sa démarche. « Car les associations absorbent certes de grosses quantités d’invendus mais il y a des contraintes », souligne Jean Moreau. Sont ainsi exclus les produits en « dates courtes » et les denrées d’origine animale, non éligibles aux dons. Si on y ajoute les préférences alimentaires de certaines associations et les volumes moindres issus de petits magasins qui n’intéressent pas les structures travaillant à l’échelle du container, cela forme, au final, des quantités non négligeables de produits sans seconde vie possible. Un trou dans la raquette que l’application mobile gratuite lancée par Phénix en 2019 – et téléchargée 3 millions de fois depuis – se fait fort de combler.
Le principe est simple : la supérette du quartier, le boulanger ou le primeur compose avec ses invendus un panier « surprise » d’une valeur comprise entre 12 et 15 euros. Panier que le consommateur achète en ligne pour 5 euros et qu’il récupère ensuite à l’horaire indiqué. Une formule gagnant-gagnant. Le client réalise une économie substantielle, avec pour seule contrainte de consommer rapidement les produits ainsi achetés. Tandis que le commerçant vend quelque chose qu’il jetait jusque-là. « Ces achats malins sont motivés à 70 % par un pouvoir d’achat contraint – étudiants, mères célibataires, foyers modestes –, les militants anti-gaspillage composant le reste de la clientèle ».
Troisième brique de l’édifice Phénix : l’alimentation animale. « C’est notre dernier-né. Cela englobe toutes les denrées non éligibles à l’alimentation humaine ». Des déchets organiques qui étaient auparavant détruits pour un coût avoisinant 80 à 120 euros la tonne et qui sont désormais valorisés. « Nous travaillons avec des fermes équestres, de gros élevages porcins, des parcs zoologiques… »
Un air entraînant et populaire
Avec sa palette complète – dons aux associations, paniers d’invendus et alimentation animale – contre le gaspillage alimentaire, Phénix s’inscrit parfaitement dans l’air du temps. Son succès en témoigne. « Notre chiffre d’affaires annuel s’élève à environ 15 millions d’euros et nous sommes sur un rythme de croissance à 2 chiffres. Notre effectif est de 200 personnes et nous avons pour objectif de construire un leader européen ». Après l’Espagne et le Portugal en 2019, la Belgique et l’Italie l’an passé, Phénix s’implantera cette année aux Pays-Bas. Et l’Allemagne devrait suivre. Mais ce qui fait la véritable fierté de Jean Moreau, c’est l’impact concret de son entreprise, avec déjà quelque 150 millions de repas sauvés depuis 2014 et 130 000 autres qui, chaque jour, évitent de terminer à la poubelle.
Avec sa vision responsable, solidaire et participative, Phénix fait bouger les lignes. Celles d’une « jette société » désormais dépassée qui doit se convertir au « Gaspi, c’est fini ! » Un refrain entraînant et de plus en plus populaire.
Jean-Yves Nicolas
Pierre-Emmanuel Boulic, Directeur Activités innovation, Arkéa Capital
Une activité qui fait sens
Arkéa Capital, filiale spécialisée du Crédit Mutuel Arkéa, a lancé en 2016 une activité d’investissement dans des sociétés à impact positif dans les secteurs de la santé, de l’éducation et en faveur de la transition climat. Participer à l’économie circulaire et notamment à la lutte contre le gaspillage alimentaire fait partie de nos objectifs. Phénix et son fondateur Jean Moreau nous ont convaincus dès 2018 de les accompagner dans le développement d’une activité qui fait sens, en termes environnemental, social et économique, notamment sur les territoires bretons où la société est fortement implantée.