La société suédoise Skrattande a sélectionné un rumex très riche en protéines. La variété nommée Aprilskämt produit 35 q/ha dans les conditions expérimentales. Des essais de culture sont prévus cette année en Bretagne.
À 57 ans, Boje Trygg est un chercheur comblé. À vrai dire, il préfère le titre d’agriculteur-chercheur. Car ce docteur en génétique végétale est aussi « dräng » comme il dit (paysan en suédois). Un métier dont il est particulièrement fier. Et c’est en observant ses vaches raffoler d’un type de rumex au pâturage qu’il a eu l’idée d’en savoir plus sur la composition de quelques plants singuliers dans leur apparence et étonnement si appétents pour ses bovins. « Les vaches ne consomment pas naturellement le rumex compte tenu de son amertume. Mais j’avais observé que, dans la parcelle au nom prémédité de “Av hon” (parelle en français), elles recherchaient un rumex qui a la particularité d’avoir une nervure centrale très fine avec les feuilles légèrement bleutées à l’extrémité apicale ».
[caption id= »attachment_64236″ align= »aligncenter » width= »720″] Chaque hampe produit plusieurs centaines de graines.[/caption]
L’équivalent d’un trèfle violet
Par curiosité, Boje Trygg prélève alors des limbes sur plusieurs plants pour réaliser une analyse biochimique et un séquençage génétique. Et là, stupéfaction du chercheur qui décèle un fragment d’ADN de Polygonum convolvulus, un proche cousin du sarrasin qui, indique-t-il, fait partie de la famille botanique des Polygonaceae comme le rumex. « En toute vraisemblance, il y a eu un croisement aléatoire et improbable entre deux plants d’espèces proches génétiquement. Et, le plus étonnant, c’est que cet hybride n’est pas stérile contrairement à ce qui arrive généralement. Comme quand une jument est fécondée par un âne : la mule ne peut pas engendrer », illustre le docteur en génétique.
Les analyses biochimiques révéleront quant à elles une teneur en protéines des feuilles particulièrement élevée. « C’est l’équivalent d’un trèfle violet, soit entre 18 et 19 % de matière azotée totale (MAT) très digestible », détaille Boje Trygg dans un français impeccable. Et d’expliquer qu’il a retrouvé une teneur insignifiante d’acide oxalique – appelé aussi sel d’oseille – connu pour sa toxicité à haute dose.
[caption id= »attachment_64237″ align= »aligncenter » width= »720″] L’agriculteur-chercheur suédois a d’abord croisé et multiplié les plants de rumex dans des petits pots en terre cuite.[/caption]
Multiplication en serre froide
Comme l’infatigable instituteur hollandais, Kronelis Lieuwes de Vries, qui faisait pousser ses cultivars de pomme de terre Bintje dans des boîtes sur le rebord des fenêtres de sa classe, l’agriculteur-chercheur suédois a d’abord croisé et multiplié les plants de rumex dans des petits pots en terre cuite. « Puis, pour éviter toute interférence avec des plants de rumex génétiquement différents et pour bien fixer les caractères, j’ai cultivé les plants souche en serre froide fermée. La pollinisation étant assurée par une famille particulière de mouches, les syrphidés, que j’élève dans des ruchettes en paille, garnies de tiges de rumex séchées », explique le dräng, intarissable sur ses projets : « Pour l’anecdote, nous faisons parallèlement des essais de tissage avec la fibre rouie de rumex, comme cela se fait avec le chanvre. Vous vous imaginez avec un pull-over 100 % rumex sur le dos ? », s’esclaffe Boje qui croit dur en son idée.
Plante peu exigeante en fertilisation
Quatre ans après les premières récoltes, Boje Trygg a réussi à accumuler suffisamment de graines pour semer un demi-hectare de sa variété de rumex Aprilskämt. « L’intérêt est que cette plante pousse dans toutes les terres, même les plus pauvres. Comme ses parents sauvages, ce rumex sélectionné est coriace, insensible au piétinement par temps humide, résistant à la sécheresse grâce à sa racine pivotante qui peut descendre puiser l’eau à 1,50 m de profondeur… et les vaches en raffolent, un peu comme le plantain », se réjouit le chercheur qui, pour autant, ne fait pas du pâturage une priorité. « L’objectif est de commercialiser la semence. Le fait de brouter ras au printemps favorise le développement d’une hampe florale vigoureuse et fournie ; on obtient le même résultat avec une fauche précoce », assure l’agriculteur-chercheur.
Un tourteau à 38 % de matière azotée
Semé à 60 000 graines par hectare le rumex Aprilskäm produit 35 q/ha ; un record de 48 q/ha a été enregistré en 2020. « Les graines sélectionnées sont nettement plus denses que celles du rumex sauvage. Elles tendent plus vers le poids spécifique du sarrasin que du rumex. Et surtout, elles sont riches en protéines : 38 % de MAT, soit l’équivalent d’un tourteau de colza, avec des protéines hautement digestibles après toastage », se félicite le Scandinave.
« Et tout cela sans engrais et sans traitement. Ma variété domestique bénéficie des caractères de résistance forgés au cours des millénaires. Son seul ennemi connu est le clair-obscur, un papillon de nuit », précise le Suédois qui, dès 2022, mènera ses premiers essais hors des frontières de son pays : « En Italie, Allemagne et France.
Plus précisément en Bretagne, sur la commune de Pesquern, où mon associé gère une pisciculture spécialisée dans la production de gros poissons destinés au fumage et qui seront bientôt nourris au tourteau de rumex.
De quoi enfumer tous les crédules du 1er avril… ».