Paradoxal. Le rapport des hommes aux animaux est paradoxal. Pour ne pas dire complètement renversé. Au Moyen-Âge, les bêtes pouvaient être traduites devant la justice des hommes. Le cocasse procès de la truie de Falaise en 1386, condamnée à la pendaison pour avoir dévoré un enfant au berceau, est à cet égard édifiant. Aujourd’hui, retour de balancier. Ce ne sont plus les animaux qui doivent craindre la justice mais leur propriétaire. Après Maurice, le coq lève-tôt, voici à présent que les vaches deviendraient indésirables. Dans l’Oise, la ferme laitière des Verschuere a été condamnée en appel pour « troubles anormaux du voisinage ». Le bruit, l’odeur, les mouches : tout y passe. La loi votée le 29 janvier 2021 pour protéger « le patrimoine sensoriel des campagnes » n’y fait rien. Elle ne s’applique qu’aux affaires récentes. Et au préalable, chaque région doit définir son propre « patrimoine sensoriel », ce que n’a pas encore fait la Bretagne. Il y a urgence pour que la placide vache, qui fait partie du paysage du Massif armoricain depuis le néolithique, ne devienne pas « vacca non grata »… Au cœur de cette propension à en appeler au juge pour faire taire veau, vache, cochon, couvée, ne doit-on pas simplement y voir le déplorable syndrome d’une société de plus en plus individualiste, autocentrée qui considère l’autre – vivant ou objet – d’abord comme une entrave à son sacro-saint confort ? Car l’animal lui-même ne semble pas intrinsèquement en cause si l’on considère la (nouvelle) place faite aux animaux de compagnie. Telle cette histoire de poule qui se perche chaque soir sur le bout de lit conjugal pour passer la nuit ; ou ce récit de lapin qui transforme le dessous de la couette en terrier. À quand le bœuf dans le salon ?…
Vacca non grata