Éleveurs laitiers et producteurs de choux et artichauts, Joëlle et Jean-Yves Masson abordent les complémentarités agronomique et économique des deux filières.
Chez Joëlle et Jean-Yves Masson, production laitière et production légumière ont toujours fait bon ménage. D’une manière générale, ils n’aiment pas mettre tous leurs œufs dans le même panier et cherchent sans cesse de nouvelles complémentarités : production d’énergie, agroforesterie, marché à la ferme, cultures de bambou et de miscanthus… « Nous voulons adapter notre outil pour l’avenir et sécuriser notre système. Être sereins. Dans notre métier, nous avons deux hantises : manquer de nourriture pour les animaux et prendre un coup de gel à -5 °C qui compromette la saison d’artichauts… », confient-ils.
Une heure de sommeil en plus avec le robot de traite
Conduisant 60 laitières sur une SAU de 115 ha, le couple livre 550 000 L de lait par an. « Dès que ça porte, même en hiver, nous sortons les vaches. Elles passent seulement deux mois vraiment en bâtiment. » L’objectif est la maîtrise du coût alimentaire : la part de concentré passe ainsi de 145 à 150 g/L de lait en hiver ou en juillet-août quand c’est sec à 100 g/L en pleine pousse de l’herbe. Grâce à une réserve collinaire, depuis 2004, les prairies bénéficient d’un tour d’irrigation (70 mm) après le 15 août à l’arrêt de l’arrosage des artichauts « pour profiter d’une belle herbe d’automne ». Depuis 3 ans, 10 ha de RGH-trèfle sont aussi destinés exclusivement à la fauche : « Une botte d’enrubanné par jour au troupeau permet l’économie d’1,2 kg de correcteur azoté par vache. »
La traite robotisée a démarré en 2011. « Depuis, nous avons gagné une heure de sommeil », sourient les Finistériens. « Surtout, l’astreinte autour des vaches est réduite. À 8 h ou 8 h 30, nous sommes au champ pour récolter. » Les deux salariés de l’exploitation (1,5 équivalent temps plein) se consacrent exclusivement aux légumes « pour amortir au mieux le coût de la main-d’œuvre là où il y a le plus de valeur ajoutée. »
[caption id= »attachment_67260″ align= »aligncenter » width= »720″] Les rangées d’arbres récemment plantés délimitent des paddocks adaptés à la taille du troupeau pour un pâturage optimisé tout en permettant de passer avec des outils pour implanter et récolter une culture.[/caption]
Légumes et céréales dans une rotation bien calée
Tous les animaux nés sur l’exploitation sont gardés. Ainsi 25 à 30 JB (Prim’Holtein ou croisés Inra 95) sont commercialisés par an. La première année, ils sortent sur prairies permanentes ou des terrains trop en pente pour être cultivés. Puis ils sont engraissés 6 mois en bâtiment avec 3 ou 4 kg par jour d’un mélange orge aplati maison – correcteur azoté. « En plus des logettes paillées des laitières, le logement de tous ces bovins fournit beaucoup de fumier. Or l’artichaut a besoin d’énormément de matière organique. Aujourd’hui, nos sols atteignent 4 % de matière organique presque partout. Ce fumier à disposition réduit singulièrement le recours à l’achat d’engrais », insiste Jean-Yves Masson.
« L’artichaut est une super tête d’assolement. Sa racine pivotante descend jusqu’à 3 m de profondeur et offre ensuite un important réservoir de nourriture à la vie du sol en faveur des cultures suivantes, le chou-fleur puis le maïs. » Grâce aux 150 à 200 unités d’azote fournies par les feuilles de choux et l’apport de fumier, l’EARL produit un maïs « assez économe » pour un rendement de 15 à 16 t MS / ha en général.
Ensuite, vient l’orge dans la rotation. Des variétés hybrides sont choisies pour leur résistance aux maladies avec l’objectif de réduire les traitements. Depuis 2 ans, le premier fongicide est remplacé par un biostimulant (Vertal) à base d’algues. Le deuxième est appliqué à 75 % de la dose conventionnelle, quatre jours après sortie des barbes. « Nous semons très peu dense à 2,1 ou 2,2 doses / ha au lieu de 3 pour abaisser le coût de semence et favoriser un excellent tallage en faveur de belles tiges et d’un meilleur rendement paille. Au bas mot, nous gagnons 1 t / ha de paille pour un rendement grain de 90 à 100 q. » Dans cette rotation bien calée, il y a toujours de la matière organique en décomposition (bâtons d’artichaut, trognons de choux…) dans le sol et des reliquats azotés, cela permet de réduire l’apport d’engrais minéral à 100 à 110 unités / ha sur orge.
Par ailleurs, en multipliant les variétés en légumes pour assurer des décalages de récolte, l’EARL a toujours « quelque chose à livrer », des choux d’octobre à fin avril et des artichauts de mai à juillet. « Au contraire du lait, les légumes génèrent de la trésorerie sur une bonne partie de l’année. C’est une complémentarité de plus, d’un point de vue économique. »
Quel avenir pour les légumes ?
Le prêt du toit photovoltaïque (50 kWc, 2011) est presque remboursé. Les associés vont installer 150 kWc supplémentaires dont quelques panneaux pour l’autoconsommation. Pour eux, c’est une façon attractive de rénover les vieux bâtiments pour garder leur outil en état. Et de compenser l’arrêt de la culture des choux. « On vieillit et le légume, c’est physiquement exigeant… Mais surtout, à cause du durcissement de l’agréage dans les dépôts, il y a 1 500 à 2000 têtes à l’hectare qu’on ne valorise plus. Le zéro défaut débouche sur un gaspillage alimentaire qui nous est insupportable. Alors que la Suisse par exemple a des plans B et C pour transformer tous les légumes récoltés… », regrette Jean-Yves Masson.
En artichaut, l’inquiétude est là également avec le projet de cessation de l’usine de surgélation de Saint-Martin-des-Champs. 3 500 t par an étaient valorisées dans cette unité qui servait en quelque sorte d’outil de gestion de marché pour assurer le prix du frais, rappellent les Finistériens. « Pour notre exploitation, le débouché surgélation représente 12 000 à 15 000 € par an. Sur notre terroir magnifique pour l’artichaut, on laisse filer la valeur ajoutée… », terminent, avec une certaine amertume, Joëlle et Jean-Yves Masson.