Pilier du mouvement coopératif breton, Amand Denieul a incarné des années durant le monde agricole au sein du Crédit Mutuel. Doté d’un charisme certain, d’une carrure de fort des halles et de solides convictions, cet infatigable militant a été de tous les combats de la profession ces dernières décennies. Souvenirs, souvenirs.
Octobre 1979, une effervescence inhabituelle règne à La Franceule, hameau de la commune de Janzé (35). Des agents de sécurité se dissimulent dans les sapins qui bordent l’exploitation. Et les gendarmes fouillent méthodiquement les jardinières, à la recherche d’éventuels engins explosifs. La raison de toute cette agitation ? Le siège du Gaec de la Seiche s’apprête à accueillir un hôte de marque en la personne de Hua Guofeng, premier ministre de la république populaire de Chine.
Pour son premier déplacement en Occident, le successeur de Mao Zedong à la tête du parti communiste chinois effectue une visite officielle de six jours en France. Intrigué par le succès, au sein d’un système capitaliste, de la forme d’agriculture collective que représente le Gaec, le dirigeant chinois, accompagné de sa délégation, fait escale en Bretagne. L’événement est resté gravé dans la mémoire d’Amand Denieul, aujourd’hui âgé de 85 ans. L’œil malicieux, le Bretillien se souvient que le chien de la ferme avait même été enfermé pour l’occasion. « Il s’appelait Ouako, cela pouvait prêter à confusion avec notre invité du jour ! »
Le kibboutz breton
C’est au mitan des années 60 que la belle aventure humaine du Gaec de la Seiche, du nom d’une rivière voisine, prend sa source. À 25 ans, son service militaire effectué en Algérie, Amand épouse Monique, une jeune femme originaire de Normandie avec qui il s’investit dans les rangs de Jeunesse agricole catholique (Jac). La même année, le couple décide de s’installer. Mais le propriétaire des terres leur refuse d’établir un bail. « Au Crédit Agricole, on m’a dit : “ Pas de bail ? Alors, pas de prêt ! ” En mon for intérieur, j’ai pensé : ça, vous ne l’emporterez pas au paradis ! »
Quatre années et un changement de banque plus tard, il crée, avec son frère et une cousine, le Gaec de la Seiche. « J’avais déjà l’habitude de travailler avec mon frère Marcel. Nous avions du matériel en commun. Notre cousine venait de perdre son époux, elle avait cinq enfants. Cela nous a semblé être la bonne solution, d’autant que les trois exploitations n’étaient distantes que de 8 kilomètres ». Créés par la loi quatre ans plus tôt, les Gaec sont alors peu nombreux. « Nous étions seulement le cinquième du département. Les gens nous traitaient de kibboutz, de kolkhoze ! » Mais le succès est au rendez-vous. Petit à petit, la structure s’étoffe, se diversifie. « Au plus fort, le Gaec a compté jusqu’à 10 associés et 5 salariés, souligne Amand. Désormais, ils sont six associés et c’est la troisième génération qui est aux manettes ».
Une durabilité que Monique, qui s’est longtemps occupée de la comptabilité de la structure, explique, pour partie, par des « règles du jeu » très claires. « Dès le départ, le Gaec a été pensé et conçu comme si les associés ne s’entendaient pas entre eux, avec chacun son domaine, ses responsabilités ». Ce qui, par ailleurs, n’a jamais empêché tout ce beau monde de se retrouver chaque lundi matin autour d’une table pour faire le point, suivre les différentes productions, planifier les travaux…
La fibre militante
La répartition des tâches au sein d’un Gaec permet à l’associé qui le souhaite de se dégager plus facilement du temps pour divers engagements. Voilà qui tombe bien, les frères Denieul ayant tous deux hérité de la fibre militante de leur père, proche des « abbés démocrates » (curés de l’Ouest à l’origine de syndicats agricoles, coopératives, journaux et caisses de Crédit Mutuel). Marcel, l’aîné, présidera notamment le syndicat du contrôle laitier et le centre de gestion et d’économie rurale d’Ille-et-Vilaine. Pour Amand, ce sera l’épopée du Crédit Mutuel de Bretagne.
« En 1969, je suis devenu administrateur de la Caisse de Janzé-Piré. Et j’ai été élu président deux ans plus tard, alors que j’étais le plus jeune membre du conseil d’administration ». Fin connaisseur du monde rural, chaleureux, sachant écouter et convaincre, il devient vite le visage de l’agriculture au CMB. Président de la section Ille-et-Vilaine de la Caisse de Bretagne de Crédit Mutuel Agricole (CBCMA), président régional de la CBCMA, président du journal Paysan Breton, président du Crédit Mutuel Agricole et Rural (entité fédérant au niveau national toutes les structures à vocation agricole du Crédit Mutuel), le natif de Piré-sur-Seiche enchaîne les mandats au fil des années. Tout en continuant toujours à s’impliquer au sein du Gaec de la Seiche. « Je suis paysan au plus profond de mon âme. Un paysan militant, mais d’abord un paysan ».
Le statut de commandeur
Son long parcours au service de l’agriculture lui vaut, en 2006, d’être nommé commandeur, soit le plus haut grade, dans l’ordre du Mérite agricole. Mais lorsqu’il jette un coup d’œil dans le rétroviseur, c’est le combat mené en faveur de la banalisation de la distribution des prêts bonifiés qui constitue l’un de ses meilleurs souvenirs. « J’étais avec Louis Lichou et Yves Le Baquer — emblématique duo alors à la tête du CMB —, lorsque nous avons appris la nouvelle, en 1989. Nous avons débouché le champagne pour fêter cette décision qui venait couronner des années de revendications. Désormais, tout le monde trouve cela normal. Mais il faut bien se rendre compte que, jusque-là, un jeune qui s’installait comme agriculteur n’avait pas le choix de son partenaire financier ! »
S’il reste attentif à l’actualité agricole, Amand profite désormais pleinement de sa retraite aux côtés de Monique, dans leur maison du bourg de Piré-Chancé. Une commune dont le maire n’est autre que leur fils Dominique. Le gène du paysan militant se transmettant de génération en génération !
Jean-Yves Nicolas