Le photographe Marc Bergeron propose une « approche sensible » des monuments aux morts des Côtes d’Armor.

« Quand je suis face à un monument aux morts, je suis toujours impressionné. Je me sens petit, comme un enfant », confie Marc Bergeron, professeur d’histoire-géographie en lycée à Saint-Brieuc. Des traces de la Grande Guerre de 1914 à 1918, épisode marquant du début du XXe siècle, présentes dans toutes les communes de France. Peu importe le lieu de ses pérégrinations, l’historien, par ailleurs passionné de photographie, est toujours tombé nez à nez avec ces édifices de métal ou de pierre, prenant alors le temps de les regarder avec curiosité et attention. « Puis, en 2012, j’ai décidé de faire le tour de tous les monuments aux morts figuratifs – c’est-à-dire tous ceux qui ne se limitent pas à une stèle ou un obélisque – des Côtes d’Armor. » Une manière aussi de découvrir un département dans lequel le professeur s’était installé en 2004.

« Les monuments pacifistes »

Pour exprimer « cette émotion » ressentie, Marc Bergeron a alors entrepris un travail photographique résonnant avec les questions d’art, d’histoire et de mémoire. « Dans cette approche sensible, je me suis intéressé aux choix plus subjectifs, plus personnels, plus communaux de certains ouvrages », explique celui qui a vu tous les monuments aux morts des Côtes d’Armor. Inaugurés à partir de 1919, nombre d’entre eux sont des doublons, réalisés en série, « choisis sur catalogue ». Parfois même réalisés dans d’autres régions (celui de Langueux a été fondu à Toulouse). « Un véritable commerce à l’époque. » La représentation de la « Victoire » à Plélo est ainsi pratiquement identique à celle de Quemper-Guézennec…
Mais d’autres ouvrages sont au contraire singuliers, pointe le spécialiste. Il y a tous les monuments qualifiés de « pacifistes » par exemple : « D’une certaine manière, ils dénoncent la guerre en montrant des personnages tels que la veuve et l’orphelin. Dans ce registre, celui de Quintin est incontournable. La veuve éplorée, œuvre du sculpteur briochin Francis Renaud, au pied de la cathédrale de Tréguier est aussi modèle du genre. » Marc Bergeron cite d’autres sites remarquables comme le « curieux » édifice en pierre blanche de Plœuc.

Les détails racontent l’histoire

Beaucoup d’ouvrages présentent des soldats dont la figuration varie. Représentés debout, droits, costauds, en position d’attente pour dire « On va tenir pour vous ». Ou montant à l’assaut. Ou encore embrassant la mort : l’ouvrage fondu polychrome d’un soldat agonisant à Lézardieux est magnifique. Ou enfin le combattant victorieux. L’option choisie est le fruit des délibérations municipales. « À Pluzunet, on trouve un petit bonhomme très touchant : un personnage du cru, dans son uniforme trop grand qui semble raconter cette armée de conscrits, inexpérimentés, envoyés au front. » L’emplacement du monument, sur la place de la mairie ou collé à l’église, parle aussi du rapport entre les catholiques et républicains à l’époque.        
Plus généralement, les détails des monuments racontent l’histoire. « À Saint-Gouéno, le soldat tient un masque à gaz qui parle au professeur d’histoire que je suis. » À Plouguenast, le soldat lançant une grenade montre l’évolution des techniques de combat. Presque systématiquement représentés, les obus montrent l’industrialisation de la guerre…

14 images de 18 cm au bleu de Prusse

Entre 2012 et 2017, Marc Bergeron immortalise finalement 50 édifices au Rolleiflex. Loin de l’immédiateté du numérique, revenir à l’argentique était une évidence pour ce sujet où « il est question du temps, de monuments qui ont un siècle ». L’appareil photo ancien capturait aussi en format carré « très militaire ».
À l’arrivée, en 2018, pour le centenaire de l’armistice, le professeur a exposé à Ti ar Vro – L’Ôté à Saint-Brieuc. S’inspirant de la phrase de Victor Hugo, « la forme, c’est le fond qui remonte à la surface », l’historien s’amuse de la présentation. « J’ai choisi une série de 14 images exposées en format carré 18 x 18 cm. » Des tirages réalisés artisanalement en usant du procédé ancien de la cyanographie permettant d’obtenir des monochromes en bleu. « Ce bleu de Prusse prend un sens particulier pour parler de cette guerre mondiale franco-allemande… », précise Marc Bergeron qui, depuis ce beau voyage dans le temps et l’espace des Côtes d’Armor, continue de regarder les monuments aux morts. « En fait, ce regard sur ce rapport à l’histoire et la mémoire est permanent », termine-t-il.

Un prochain travail sur les Opex

Après 39-45, le terme de « guerre » disparaît. « On parle désormais d’Opex pour opérations extérieures, de maintien de l’ordre ou de police », explique Marc Bergeron. Algérie, Tchad, Liban, Indochine, Afghanistan, Irak, Bosnie… La liste est longue. « J’aimerais me pencher sur l’histoire et la mémoire de ces Opex à travers des témoignages et peut-être des portraits à l’échelle des Côtes d’Armor. » Il réfléchit également aux traces de la résistance marquant le territoire.
Contact : bergeron.marc@live.fr