Sécher du lait, s’approvisionner en bocaux de verre ou en boîtes de conserve pourrait devenir problématique. La crise énergétique oblige l’industrie agroalimentaire à remettre certaines pratiques en question.
Le gaz naturel est l’énergie la plus utilisée par les entreprises agroalimentaires. Sa faible disponibilité, liée à la guerre en Ukraine, fait craindre le pire. « Notre souci n° 1 n’est même pas le prix mais tout simplement l’approvisionnement », indique Cédric Lombard, directeur de l’innovation chez Eureden, intervenant à la Session Chambre d’agriculture du Morbihan. « Les stocks sont bons mais ils ne sont pas dimensionnés pour fonctionner sans approvisionnement russe ». Il prévoit une nouvelle forte hausse en 2023-2024. Aucune bonne nouvelle à attendre non plus de côté de l’électricité. La disponibilité nucléaire est historiquement basse en France en raison de l’arrêt de 26 centrales (besoin d’entretien). Le bouclier tarifaire a permis d’éviter une explosion des prix jusqu’à maintenant mais de très fortes hausses sont également à prévoir. Eureden compte 16 sites très consommateurs d’énergie, les séchoirs et les conserveries, notamment. La coopérative envisage une couverture progressive des achats d’énergie 3 ans à l’avance, en se laissant une marge de manœuvre sur le spot.
Inflation record sur les viandes surgelées
Les conséquences sont immédiates. « Nos relations avec les GMS sont bouleversées ; les prix sont désormais revus tous les deux à trois mois », poursuit Cédric Lombard. La crise énergétique se traduit dans les rayons des grandes surfaces, avec 12 % d’inflation sur le panier moyen (novembre 2022). Les 1er prix sont les plus impactés par la hausse (+ 18 %). Parmi les produits les plus inflationnistes, on trouve les viandes surgelées et hachées, avec respectivement 32 % et 24 % de hausse de prix. La fin de la mondialisation heureuse atteint la coopérative, en raison des incertitudes liées au fret : « Nous envisageons des achats plus locaux pour nos emballages ». Dans l’immédiat, des interrogations demeurent sur la fourniture de bocaux (verre) ou de boîtes de conserve (acier). « Ce sont des marchés en situation d’oligopoles (peu de fournisseurs) ; nous avons des inquiétudes, surtout sur les prix ». Autre impact indirect pour les entreprises : le début d’une boucle d’inflation salariale, structurellement installée.
Travailler de nuit en usine ?
L’efficacité énergétique impose de revoir l’organisation du travail dans les usines. « À Saint-Thurien (conserverie), la semaine de 4 jours a été adoptée ». Certaines entreprises envisagent le travail de nuit mais elles se heurtent à l’acceptation des salariés. « Nous avons des groupes électrogènes qui peuvent être utilisés à certaines heures de la journée ». La décarbonation est également à l’ordre du jour : « Nous orientons nos investissements sur l’utilisation de la biomasse comme source d’énergie, le photovoltaïque ou le biogaz. Nous visons 25 % d’autoconsommation d’ici 4 à 5 ans. À terme, notre flotte de 300 camions pourrait rouler au biogaz ». Ces contraintes peuvent constituer une opportunité pour une région dépendante au niveau énergétique, « à condition de développer la méthanisation, l’agrivoltaïsme, une filière bois énergie pour alimenter des chaudières. Cela ne se fera que si l’on donne de la visibilité au monde agricole ».