La « viande cellulaire » émerge très doucement

 - Illustration La « viande cellulaire » émerge très doucement
Les entreprises développant la viande cellulaire souhaitent obtenir des produits de qualité gustative et nutritionnelle comparable aux viandes classiques. Joshua Resnick - stock.adobe.com
Aujourd’hui développée par une centaine d’entreprises dans le monde, l’agriculture cellulaire poursuit sa route. Mais elle rencontre de nombreuses limites : impact environnemental, acceptation par les consommateurs, coûts de production…

À l’origine, l’ « agriculture cellulaire » est issue de technologies développées pour le secteur de la santé (autogreffes de peau, organoïdes pour les tests de médicaments…) dans les années 80 à 2000. Les termes « agriculture » ou « viande » cellulaires peuvent choquer les personnes travaillant dans le secteur de l’élevage mais ce sont ceux utilisés par ces nouveaux acteurs économiques. Un moyen de positionner leurs produits et de rassurer les consommateurs…

En Europe, une quinzaine d’entreprises, dont deux en France, travaillent sur des produits dans différentes espèces comme le bœuf, le poulet, le canard, le saumon ou les crevettes… Fin novembre, Agreenium, structure alliant établissements d’enseignement supérieur et organismes de recherche, a organisé un webinaire sur ce sujet.
À cette occasion, Gilles Candotti a décrit l’ambition de Mosa Meat, entreprise néerlandaise créée en 2016 qui travaille principalement à l’obtention de haché de bœuf. 160 personnes sont employées par cette structure. « Nous en sommes toujours au stade de la recherche et développement. L’objectif est d’obtenir des produits au bon goût avec les mêmes valeurs nutritionnelles » que les viandes classiques.

Le processus de fabrication se fait en plusieurs étapes. « Nous commençons par réaliser un prélèvement – de l’ordre de 0,5 g – de cellules spécifiques sur un animal vivant. D’autres entreprises travaillent à partir de l’œuf ou de lignées cellulaires », explique-t-il. « La 2e étape est la différenciation lors de laquelle on choisit des cellules (muscles, gras en ce qui nous concerne). Nous n’avons pas besoin de les modifier, il n’y a pas d’utilisation d’OGM. Les cellules sont ensuite placées dans un milieu de culture qui va les nourrir. Elles vont croître et se transformer en tissus. Cette phase est réalisée dans des bio-réacteurs en suivant un processus stérile. Puis la maturation est réalisée. » Enfin, les produits vont être utilisés tels quels ou comme ingrédients.

Quelle sera la dénomination ?

Mais avant la commercialisation, l’approbation alimentaire est nécessaire, comprenant généralement deux volets : certification de la sécurité sanitaire / alimentaire et validation des moyens de production et de commercialisation (comprenant notamment le point délicat concernant la dénomination de ces aliments). Pour le moment, deux produits ont été approuvés à Singapour et la sécurité alimentaire d’un autre produit a été validée aux États-Unis.

À l’heure actuelle, ces entreprises savent fabriquer à petite échelle et cherchent à monter en puissance. « Mais cela sera long. L’un des enjeux est de remplacer les ingrédients venus de la sphère pharmaceutique par des ingrédients ‘nutrition’. Trouver les protéines végétales (utilisées dans notre gel de culture) les plus efficientes et sourcées localement, est un objectif, tout comme l’augmentation de la dimension des bio-réacteurs. »

La question de l’énergie utilisée

Par ailleurs, beaucoup d’incertitudes demeurent sur l’impact environnemental des viandes cultivées. « Elles nécessitent beaucoup d’énergie pour faire tourner les bio-réacteurs notamment, mais elles pourraient émettre moins de gaz à effet de serre que la viande rouge et même que les autres viandes en étant produites avec de l’énergie décarbonée. Elles réduiraient aussi la pollution de l’air par l’ammoniac : une préoccupation croissante au sujet de l’élevage conventionnel », souligne Nicolas Treich, de l’Inrae. Sur le plan moral, « beaucoup de gens interrogés dans des enquêtes pensent que c’est une bonne direction pour éviter la souffrance animale. » Mais le consentement à payer pour ces produits différenciés reste faible.

Des interrogations subsistent par ailleurs sur l’expérience sensorielle, la composition, les résidus éventuels. « Le goût change en fonction du muscle ou de l’espèce », précise Gilles Candotti. « Dans notre entreprise, nous n’utilisons pas d’hormones de croissance, pas d’antibiotiques. Par ailleurs, nous travaillons sur le recyclage des milieux de culture. »

Enjeu de réduction des coûts

Autre limite de taille, les coûts de production, actuellement totalement déconnectés de ceux des productions conventionnelles agricoles. « Je suis sceptique sur la capacité de ces process à parvenir à des charges comparables », note Nicolas Treich. « Nous cherchons à produire à un coût plus abordable mais ne savons pas pour le moment quelle sera l’échelle de temps. Et nous ne savons pas non plus quand les premiers produits européens vont arriver sur le marché », conclut Gilles Candotti.

Besoin de compétences

Pour que l’agriculture cellulaire progresse, un transfert de compétences entre les domaines de la santé et de l’alimentaire est nécessaire. « Des métiers autour de différentes thématiques doivent être développés : R & D (sélection et culture des cellules, milieux de cultures…), production (hygiène / sécurité, séparation des tissus…), transformation / formulation, bioinformatique, commerce… », liste Romain El Andaloussi, de l’École Sup’Biotech. « En recherche fondamentale ou appliquée, la France affiche plutôt un retard dans ces innovations par rapport aux Pays-Bas, aux USA, à la Chine, au Royaume-Uni où elles sont encouragées par les gouvernements », ajoute Gilles Candotti.


Fermer l'écran superposé de recherche

Rechercher un article