La France est moins touchée que ses voisins européens par l’inflation, mais les habitudes de consommation changent.
Les facteurs s’accumulent pour donner le sentiment aux Français que le risque d’une pénurie alimentaire est possible. Selon un sondage, « 59 % de la population craint une pénurie », chiffre Delphine Scheck, chargée de mission économie-emploi à la Chambre d’agriculture, qui intervenait lors de l’assemblée générale de Rés’Agri Centre, à Carhaix. Le conflit en Ukraine avec la suspension des exportations « a eu un impact direct sur les prix des produits agricoles et sur l’énergie. Mais la guerre n’a pas été un facteur déclencheur, mais aggravant. La situation était déjà amorcée en 2021, avec la crise sanitaire liée au Covid ». D’autres éléments viennent peser dans la balance et augmentent les prix des matières premières, comme « les aléas climatiques et l’impact du réchauffement de la planète. Dans des endroits du monde, on estime à 21 % la baisse de productivité à cause de ce changement de climat. En France, les conditions restent encore favorables ».
Acheter moins, ailleurs et moins cher
Tous ces éléments contribuent à favoriser l’inflation, de + 6 % au global en début 2023, de plus de 13 % sur les produits alimentaires. Pour autant, « la France est préservée par rapport à ses voisins européens. Le bouclier tarifaire a permis de contenir de 3 % l’inflation. De plus, lors des négociations commerciales, les hausses n’ont pas été passées », déplore la chargée de mission. Les produits alimentaires les plus touchés par l’inflation sont ceux gourmands en énergie pour leur élaboration, comme les denrées surgelées, dont la viande (+ 29 %), ou les produits de première nécessité, représentés par les huiles (+ 19,79 %).
Face à cette situation, les Français ont adopté 3 comportements. La population est allée « acheter ailleurs, en fréquentant en moyenne 5 enseignes, contre 4 auparavant. Les achats se réalisent davantage en EDMP (Enseigne à dominante marque propre, autrefois nommée hard-discount) ». De plus, les Français ont acheté moins, la part du budget consacré à l’alimentation a diminué de « 4,6 % en volume. Ce n’est en revanche pas un effondrement, mais un retour vers le niveau de 2019, avant Covid ». Les familles se sont détournées significativement de certains produits, comme la charcuterie. Enfin, les consommateurs ont privilégié les marques de distributeur et les marques « éco », notamment sur les œufs, le jambon, au détriment des aliments certifiés bio qui diminuent de 7,8 % en 2022. « Pour 2023, 1 Français sur 4 pense réduire ses dépenses alimentaires », prévient Delphine Scheck.
Une mission pour la Bretagne
La Bretagne « nourrit 1 Français sur 3 », note Delphine Scheck, « même 40 % de la population, si on y ajoute la Bretagne historique », abonde Yann Manac’h, agriculteur à Carhaix. Il ajoute que « nos abattoirs passent à 4 jours d’abattage, c’est révélateur. Il est urgent de prendre des décisions, mais personne n’en prend. Ma crainte est d’aller vers une inflation non maîtrisée, engendrée par la baisse de production et la diminution du nombre de producteurs ».
Jaap Zuurbier, président de Rés’Agri Centre, se demande « comment on arrive à manquer de nourriture ? On a laissé décliner des productions comme la volaille, le veau… Nous avons pourtant une chance avec notre climat, nos terres, nos industries, nos installations de jeunes supérieures à la moyenne française ». Le président conclut en rappelant que « Rés’Agri contribue à poser une pierre à l’édifice : nous formons des agriculteurs, tout en étant neutre ».