Selon le climatologue Jean-François Berthoumieu, les précipitations de l’année seront moins bien réparties dans le futur. Il incite à stocker l’eau en période de fortes pluies pour l’utiliser en été.
La gestion qualitative et quantitative de l’eau, Jean-François Berthoumieu la connaît très bien. Ce fils d’éleveur de Haute-Garonne (31) a vu son père sauver l’élevage familial « lors de la sécheresse de 1964, en irrigant le sorgho fourrager. Ses voisins le prenaient pour un fou ». Dans une période ou une partie de la société s’élève contre des projets de rétention d’eau ou voit d’un mauvais œil l’irrigation des cultures en plein été, le spécialiste du climat propose des solutions à contre-courant, capables de satisfaire les agriculteurs mais aussi la société dans sa globalité. « Il faut pouvoir stocker davantage l’eau sur les continents pour compenser la disparition des glaciers, afin de pouvoir l’utiliser les jours de canicule », insiste-t-il, lors de l’assemblée générale de Rés’Agri Légumes 29, à Plouénan (29). Dans le futur, les pluies enregistrées sur la commune finistérienne risquent d’être réparties de façon différente. Plouénan cumule « aujourd’hui 902 mm. Les précipitations iront de 798 à 998 mm, avec des étés plus chauds ». Ces prévisions émanent du site Climadiag, outil développé par Météo France qui donne un aperçu de l’évolution des températures, jours de gel ou cumul des précipitations à l’horizon 2050.
Eaux bleues et eaux vertes
Cartes à l’appui, le spécialiste prend pour exemple la région d’Agen en plein été. Des taches bleues, synonymes de températures enregistrées au sol plus basses, contrastent avec des points rouges. Les zones froides abritent des cultures irriguées quand les milieux chauds représentent des parkings, des sols artificiels… « Pas de végétation, pas de rafraîchissement ». L’évapotranspiration des cultures fait baisser la température de 7 °C en période de canicule, en comparant un champ irrigué à des zones urbaines ou à des chaumes. Viennent alors les notions d’eaux bleues et eaux vertes. Les premières sont constituées « des ruissellements, des eaux souterraines. Les secondes sont l’eau qui s’évapore, qui provoque ensuite des précipitations. Cette eau verte constitue les 2/3 des flux globaux ». Jean-François Berthoumieu en appelle donc à favoriser les cultures, capables de réduire les flux de ruissellement lors d’épisodes de pluies intenses, et qui facilitent la pénétration dans le sol de l’eau.
Davantage de flux de sud-ouest
Sur la ville d’Agen, « les extrêmes de température ont augmenté de 5 °C en 60 ans. Partout en Europe, la température a augmenté de 0,5 °C tous les 10 ans dans les zones continentales, de 0,2 °C tous les 10 ans dans les zones en proche littoral ». En s’appuyant sur un outil de modélisation météorologique, Jean-François Berthoumieu prédit moins de jours de gel à l’horizon 2050 ainsi que des températures qui s’élèvent au printemps et en été. À la belle saison et quand les vents dominants sont orientés sud-ouest, la masse d’air en provenance du Portugal arrive en Bretagne « sur un océan plus froid. Le flux d’évaporation de l’océan vers l’atmosphère est faible, il y a moins de précipitations ». En revanche en hiver, le transfert est plus important, les pluies aussi. Mais pourquoi ira-t-on vers un flux de sud-ouest plus fréquent ? « La fonte des glaces du Groenland maintient ce flux : l’eau liquide issue des fontes reste en dessous de l’Islande, et oriente le flux d’air du sud vers l’ouest ».
Travailler sur les mares
Quelles pourraient être les solutions à envisager pour la Bretagne ? Une des pistes passerait par la création de mares de 10 000 m3. « La Suède, l’Angleterre et le Danemark travaillent en ce sens, avec des mares positionnées en aval des champs où des fuites de nitrates sont constatées ». Le climatologue évoque l’exemple des lacs de 2e génération, qui comprennent un bassin de décantation, des digues, et dans lequel une eau entrant à 25 mg/L de nitrates ressort à 7 mg/L. De plus, cette eau puisée à mi-profondeur et restituée à la rivière ressort rechargée en oxygène. Puiser l’eau dans ce type de rétention « est bon pour l’irrigation, la vie aquatique et l’eau de boisson ». L’irrigation doit être pilotée par « des sondes capacitives, qui suivent avec précision l’eau dans le sol, en envoyant des données toutes les 12 minutes. Dans un sol sablo-limoneux et au bout de 30 minutes, l’eau est déjà descendue à 50 cm de profondeur ».
En conclusion, l’intervenant sollicite « les collectivités, qu’il faut convaincre ». En parallèle, « il faut faire évoluer la directive-cadre européenne sur l’eau. N’oubliez pas que nous allons élire nos députés européens en 2024 ».
Ce qui n’est pas stocké est gâché
J’irrigue principalement les cultures d’artichaut, grâce à une réserve de 7 000 m3 de capacité. Sur ma commune, chaque exploitant qui irrigue dispose de sa propre réserve. Il me faudrait augmenter ce stockage à 10 000 m3 pour subvenir aux besoins des cultures. En 2022, les faibles pluies n’ont pas rechargé les réserves, on a dû faire des économies. Ma réserve se situe à 300 m du littoral, tout ce qui n’est pas stocké part à la mer, c’est de l’eau de gâchée. On pourrait pourtant réguler les flux en remplissant des réserves plus importantes en janvier, ce qui éviterait au passage l’inondation des routes observée cet hiver. Favoriser la création de réserves servirait enfin à la société, car ce sont des points de pompage pour les pompiers en cas d’incendie. Vincent Merrien, Producteur de légumes à Cléder (29)