Jouer de la musique au sein d’un bagad permet de s’ouvrir aux autres, de transmettre des émotions et de faire perdurer la tradition. Rencontre avec Jean-Paul Creignou, producteur de légumes et féru de cornemuse.
On peut dire que les vents font partie de la vie de Jean-Paul Creignou. Le 1er est celui qui balaie les côtes de Saint-Pol-de-Léon (29) où il a grandi dans la ferme légumière familiale. Le second est joliment repris dans le nom du Gaec Avel Vor, en français vent marin, où il est associé pour faire pousser des choux-fleurs, des oignons rosés, de la salade ou encore des légumes anciens. Le troisième est utile pour faire vibrer les anches des bourdons et du chanter de son instrument : le cultivateur est joueur de cornemuse depuis son plus jeune âge. « J’ai commencé à 16 ans, un peu par hasard, pour faire comme les copains. Il n’y avait à l’époque pas de cours à proprement dit, il fallait être autodidacte, même si quelques stages étaient organisés ». De fil en aiguille, le musicien a progressé avec le bagad de Saint-Pol-de-Léon, qui se regroupe désormais avec son voisin de Morlaix lors des prestations.
Un instrument qui se suffit à lui-même
La réserve d’air contenue dans la poche de la cornemuse fait d’elle « un instrument à son continu, elle se suffit à elle-même. Le son varie beaucoup selon l’humidité ; pour garder un bon son, il faut beaucoup travailler ». Jean-Paul Creignou suit 3 répétitions par semaine, de quoi réussir à dompter la bête. Mais « le joueur de cornemuse est un éternel insatisfait, on peut toujours progresser. Ce qui me plaît, c’est quand les 3 bourdons s’accordent avec le levriad. En soliste et quand on est à l’aise, les bourdons forment une bulle autour de soi ». En bagad, chaque musicien doit se tenir précisément aux consignes de la partition, afin de donner l’impression qu’un seul instrument joue la mélodie. « On doit ressentir cette énergie partagée par les autres. C’est un peu comme les danses bretonnes : quand tout le monde s’accorde, on ressent une espèce de transe ». La cornemuse ne comporte qu’une octave, « c’est pourquoi jouer avec une bombarde, qui a 2 octaves, est complémentaire ». Le sonneur préfère le répertoire écossais, vraiment adapté à sa cornemuse en Si bémol. « J’aime aussi jouer une gavotte ou un plinn. J’apprécierais de jouer en couple. À l’image du kan ha diskan, c’est une transmission d’énergie, l’occasion de faire des pieds de nez à son compère ! ».
Agri… culture
« Faire partie d’un bagad, c’est aussi toute une culture, une identité. Le fait d’être ensemble est très formateur, on rencontre des gens. La moitié des musiciens parlent breton, c’est un mélange de générations ». Il faut croire que le producteur de légumes aime apprendre, car c’est avec des cours du soir qu’il a réussi à maîtriser la langue de ses aïeux, tout comme le théâtre, un autre de ses violons d’Ingres. Le partage, une notion forte chez le producteur, qui se souvient d’un voyage avec 4 de ses amis au Bénin, pour donner 8 concerts, « l’occasion de s’ouvrir sur d’autres cultures ».
Quand on a pour profession un travail physique, ce n’est parfois pas simple de se concentrer sur la musique. Mais pour rien au monde le Finistérien ne se passerait de son instrument. Et la mélodie reprend le dessus, sert même à cadencer les tâches au champ : avant d’utiliser une planteuse moderne, « je pensais au rythme d’un morceau pour conserver une bonne distance entre les plants de chou ! »
Si le biniou kozh peut se rencontrer dans les bagadoù, c’est sa cousine écossaise qui est la plus souvent plébiscitée. « Dans les années 50, une poignée de Bretons se sont rendus en Écosse et se sont inspirés des pipes-band pour créer le bagad ». Plus de 70 ans plus tard, les formations musicales sont toujours là, appréciées lors de leur défilé.
Continuer l’histoire
Ce serait toutefois une erreur de penser que tout reste figé. « Les thèmes traditionnels sont toujours joués, mais évoluent. La musique, c’est comme un langage qui doit faire passer des émotions. Si elle devient une langue morte, c’est foutu… » Pousser la porte d’un bagad pour apprendre à vibrer avec ses copains peut se faire à tout âge. « C’est comme pour tout, on apprend mieux quand on est jeune. Mais tout dépend des objectifs que l’on se met, c’est un travail au quotidien. Jouer de la cornemuse est physique : sans répéter, on perd rapidement le doigté et le pincement des lèvres ». En se promenant sur la côte qui borde l’île Callot, les plus chanceux pourraient entendre les douces variations mélodieuses d’un pibroch, quand Jean-Paul Creignou s’exerce. Pas sûr que les notes de l’instrument à vent ne prennent le chemin des airs pour aller jusqu’en Écosse… Peu importe, elles resteront dans le Léon, dans les têtes, dans l’histoire.