Les foyers d’Influenza aviaire se succèdent dans les Côtes d’Armor sur un secteur concentrant énormément de volaille. Cela a déjà un impact réel sur la filière ponte française.
« En ce moment, psychologiquement, c’est très difficile. Tous les matins, ma hantise est de trouver des cadavres partout en ouvrant les portes de mon bâtiment », confie Kevin Chevance, aviculteur de 24 ans. Son bâtiment se trouve à Plésidy (22), commune dans la zone réglementée dite de Saint-Connan où les foyers d’Influenza aviaire s’enchaînent. « Le stress est permanent » autant pour des producteurs expérimentés que pour lui qui démarre. Le tout premier lot de pondeuses est entré dans son poulailler de 30 000 pondeuses flambant neuf le 13 mai 2022. Ayant parié sur l’automatisation, il travaille seul ce qui limite un peu les risques. Mais depuis quelques semaines, son quotidien est bouleversé. Chaque tâche, chaque mouvement, chaque livraison ou enlèvement est soumis à de multiples précautions. Il a étalé de la chaux partout autour de son bâtiment et de ses silos d’aliment. En termes de biosécurité, le jeune homme fait le maximum. « Au moins, si la maladie entre chez moi, je n’en serai pas responsable. » Sa vie privée est également impactée. « On ne se déplace plus, on ne sort plus. C’est dur de se changer les idées. »
Accumuler de la trésorerie au cas où…
« Mes poules sont en plein pic de ponte. Elle devait partir en juin mais j’ai décidé de les garder en production jusqu’en août. » Une stratégie réfléchie alors que le démarrage de son activité représente un investissement de 2 millions d’euros. « Je cherche à faire le maximum de trésorerie pour faire face. Car si l’Influenza touche mon élevage, je ne sais pas comment je serai couvert puisque je conduis mon premier lot. Économiquement, c’est le néant, je n’ai aucun bilan comptable de référence. Et puis en Vendée, des éleveurs attendent une indemnisation depuis un an… » Kevin Chevance commercialise ses œufs au cours du jour. Alors que l’Influenza impacte l’offre, la demande est très forte. « Les acheteurs font la queue pour trouver de l’œuf. Le prix a fortement augmenté. » Avec Eureden, son partenaire, l’éleveur a déjà calé l’arrivée du prochain lot courant septembre. « C’est crucial. L’influenza touche la ponte mais aussi tout l’amont de la filière. La disponibilité en poulettes est déjà limitée. Il y aura des conséquences. »
Le potentiel français de production ébranlé
« Ce cluster d’Influenza aviaire est tombé là où il ne fallait pas », confirme Yves-Marie Beaudet, président du CNPO (interprofession de l’œuf). Le département des Côtes d’Armor produit à lui seul 18 % des œufs français. « Fin janvier, un premier foyer a été confirmé sur un élevage de 22 000 pondeuses à Saint-Connan. La zone de surveillance de 10 km mise en place autour de ce cas est la zone la plus dense en élevages de pondeuses en France. En élargissant de quelques kilomètres, nous avons autour de 10 % de la production d’œufs français », précise Yves-Marie Beaudet. À date du 23 février, la multiplication des cas d’Influenza aviaire hautement pathogène confirmés par analyse sur ce secteur a déjà conduit au dépeuplement d’un million de pondeuses. À cela s’ajoutent des élevages en volaille de chair, en poulettes et en reproduction également touchés « L’effectif de pondeuses en France est de 45 millions. En 3 semaines, sur ce secteur, nous avons perdu plus de 2 % du cheptel du pays. » Cette perte de production inquiète le président du CNPO indiquant qu’en France le taux d’autosuffisance en œufs de 102 % en 2021 est tombé à 98 % en 2022. Et va inévitablement encore chuter.
Entourer les éleveurs pris dans la tourmente
Joël Limouzin, président de la Chambre d’agriculture de Vendée, département fortement frappé par la maladie depuis un an, a témoigné, le 14 février à Plérin (22) devant une assemblée de producteurs très inquiets. Outre les conséquences sur toute la filière volaille, le responsable a insisté sur la notion de solidarité. « Quand l’Influenza touche votre élevage, c’est un choc. Mais vous n’êtes pas responsable, alors ne restez pas cloîtré chez vous », a-t-il insisté. « C’est une affaire collective. Les responsables professionnels locaux doivent aller au contact. Il y a un vrai enjeu de la parole entre agriculteurs ! » Même son de cloche du côté de Virshna Héng, directeur de la DPPP 22 : « Retirer ses animaux à un éleveur est une violence. En cas de dépeuplement, je demande systématiquement au maire d’aller voir l’aviculteur. »
« Contacter tout de suite banque, assurance, MSA… »
Mon élevage de pondeuses a été touché par l’Influenza en novembre 2022 et je ne peux toujours pas faire ma demande d’indemnisation auprès des services de l’État. Dès qu’un foyer est confirmé, l’éleveur doit tout de suite contacter banque, assurance, centre de gestion, MSA et DDTM. Rappelons qu’un report d’échéances au niveau d’une banque demande environ 3 semaines. Ne sachant pas quand l’indemnisation sera versée, il faut se donner un peu d’air en reportant les cotisations sociales, les échéances de prêts… À cela s’ajoute le premier nettoyage – désinfection (ND1), une grosse décontamination comme lorsqu’il y a une détection de salmonelle, à la charge de l’éleveur. En pondeuse, le coût de ce protocole renforcé est d’environ 0,70 € / poule : c’est beaucoup plus coûteux que lors d’un vide sanitaire normal ! Dans mon cas, je vais payer 2 fois en 2022 car j’étais déjà en vide en juin dernier. Ensuite, le ND2 est pris en charge par le protocole d’indemnisation, mais attention, à condition d’avoir demandé deux devis au préalable, règle applicable pour tous les crédits publics. Frédéric Chartier, Éleveur à Saint-Juvat (22) et président d’Armor Œuf
Nicolas Goualan et Toma Dagorn