Juliet Abadie cultive la génétique diversifiée des arbres et arbustes de Bretagne. Dans sa pépinière, elle élève des jeunes plants sauvages et locaux qui serviront à garnir des talus, des haies, des champs.
Pour récolter des graines, la pépiniériste Juliet Abadie s’éloigne des centres urbains et des routes pour se rapprocher des haies anciennes et des champs perdus. Au cœur du bocage, elle ramasse les précieuses semences d’arbres et d’arbustes indigènes, non « polluées » par les plantations plus récentes. Sur sa ferme de Plouyé (29), elle va mettre en cagettes ou dans des godets forestiers ces glands, faines et autres châtaignes, pour vendre ses plants au bout d’un ou deux ans selon les espèces. Le semis est préféré aux boutures ou au marcottage, pour favoriser le brassage et la diversité génétique. Concrètement, ces semis sont réalisés après avoir levé la dormance des graines, qui sont conservées pendant une petite période au froid dans de la vermiculite.
Génétique locale
La région « manque de végétaux locaux. Il existe des pépiniéristes en plants forestiers ou pour des haies, mais dont l’origine génétique n’est pas toujours adaptée à la phénologie locale ». Pour répondre à la demande de collectivités, d’agriculteurs, de particuliers ou de syndicats de bassin versant, la Finistérienne propose ses végétaux sous la marque « Végétal local », véritable outil de traçabilité qui garantit des plants sauvages, qui n’ont pas subi la sélection par l’homme ou de croisement. Tous ces jeunes arbres et arbustes ont aussi selon la marque une origine bien établie, pour répondre à la définition de sujet local : 11 régions écologiques ont ainsi été répertoriées en France, « un érable champêtre dont la graine a été collectée en Provence et plantée en Bretagne ne sera pas local », même si l’essence est déjà présente sur le territoire.
La biologie de ces végétaux particuliers, Juliet Abadie la connaît très bien. Après avoir présenté une thèse sur l’écologie forestière sur forêt méditerranéenne en 2018, elle suit une formation sur les végétaux locaux l’année suivante. Un retour au pays en passant par une période d’enseignement de la biologie à la faculté de Brest (29) prolonge son parcours, avant d’enchaîner par un brevet professionnel agricole en 2020 pour obtenir la capacité à s’installer. La recherche d’un site capable d’accueillir son activité se recentre sur Plouyé, dans une ancienne ferme laitière avec hangar, source et 4 ha de SAU. Des bois viennent compléter les surfaces. Certains champs sont en pente, mais les besoins pour lancer l’activité se contentent de 1 ha. Ce n’est peut-être pas un hasard si l’activité de l’entreprise a démarré le 21 mars 2021 : dans le calendrier républicain, cette date coïncide avec le 7e mois germinal (faisant référence à la période de germination), dont le 1er jour est dénommé primevère. La société s’appelle Boudigwez, en référence à boudig (en breton petit être et par extension fée ou lutin), et gwez, arbre.
Plus de graine cette année ?
Dans la conduite de ses plants biologiques, la spécialiste des arbres essaie d’être « la moins agressive possible au niveau du sol. Je ne laboure pas, mais j’utilise la campagnole ». Cet outil à contre-dents fixes utilisé en maraîchage sert à briser les mottes. Côté fertilisation, les futurs grands végétaux sont élevés à la dure et habitués à des conditions peu favorables. « Ils sont voués à être plantés dans des haies ou sur des vieux talus drainant parfois pauvres, il faut qu’ils soient armés ! » Du purin de prêle est utilisé avec parcimonie pour éviter la fonte des semis, tout comme des décoctions d’ail. Les cosses de sarrasin servent à lutter contre les limaces. Un paillage naturel vient contrer les pousses d’adventices.
Cette année, les graines ne manquent pas, certains arbres en ont produit énormément. C’est le cas du hêtre, espèce chère dans le cœur de Juliet, qui a particulièrement été généreux en semence. « Est-ce une réponse au stress climatique ? On dit aussi que les années à bonnes graines reviennent tous les 7 ans… »
Un fouillis organisé
Selon les conditions pédoclimatiques, l’acidité du sol, la situation en haut ou bas de versant, la présence de cailloux… la pépiniériste est capable de conseiller sur le type d’espèces à choisir pour créer une haie ou pour garnir un talus, en lien avec l’usage que l’on aura. « La haie peut être un brise-vent, un brise-vue, avoir une vocation fourragère », énumère-t-elle. Plutôt que de planter en respectant un séquençage bien précis, Juliet Abadie préfère se défaire de cette rigueur. « Ce ne sont pas des motifs réguliers que l’on voit dans la nature, mais plutôt des bouquets ».
Des indigènes rares
La pépiniériste va chercher des espèces « indigènes du Massif armoricain, mais quasiment absentes du Finistère ». C’est le cas de l’alisier torminal, grand arbre devenu rare dont les fruits sont comestibles et dont le bois servait jadis à la fabrication de manches d’outils ou à la réalisation de crosses de fusils. « C’est aussi une espèce très mellifère », ajoute Juliet Abadie, qui remarque que les campagnes bretonnes avaient auparavant « une diversité d’espèces beaucoup plus grande ». Pour contribuer à ce renouveau d’essences un peu perdues et toujours dans cet objectif de diversité, Boudigwez dispose à sa gamme de prunellier, fusain, frêne, châtaignier, noyer, chêne pédonculé ou sessile, aulne, merisier, poirier sauvage, ajonc, aubépine, viorne obier… Au total, une quarantaine d’espèces différentes, pour environ 25 000 plants vendus par an.