Le ministère de l’Agriculture a lancé une pré-commande de 80 millions de doses de vaccins contre le virus IAHP pour l’espèce canard. La filière avicole est partagée entre l’envie de vacciner pour éviter d’avoir à revivre des dépeuplements et la crainte de voir ses exportations bloquées par certains pays avec des volailles vaccinées.
Alors qu’il n’y avait pas eu de nouveau foyer Influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) en France depuis le 14 mars, le 3 mai marque le début d’une nouvelle vague de propagation du virus dans des élevages du Gers et des Landes. « Nous allons devoir vivre en permanence avec ce virus influenza aviaire », lance Arnaud Poupart-Lafarge, directeur général de Galliance durant l’assemblée générale de l’Anvol (interprofession de la volaille de chair) le 5 avril à Angers (49). L’influenza aviaire impacte aussi les éleveurs qui ne sont pas directement touchés par le virus. Tristan Poincloux, éleveur de poulets sur 6 400 m2 de poulaillers en Maine-et-Loire (49), témoigne : « Sur 2022, j’ai eu 65 jours sans mise en place de volailles car il y avait des cas à proximité de mon élevage. Ma perte de marge brute est de 60 000 € et je serais indemnisé à hauteur de 50 000 €. »
Dans les Pays de la Loire, le virus a engendré une perte de production de 25 % sur 2022. « Pour Galliance, les pertes sont estimées entre 15 et 16 millions d’euros. Notre indemnisation se situera entre 500 000 € et 1 million d’euros. Malgré cela nous sommes résilients grâce à notre activité hors territoire. Nous avons pris des mesures de chômage et de réduction des dépenses dans nos outils de production pour compenser les pertes. Après 3 mois de chômage à l’abattoir, nous avons perdu des salariés qui sont partis travailler ailleurs. Avec la tension sur l’emploi, c’est très compliqué de trouver des candidats pour les remplacer », fait remarquer Arnaud Poupart-Lafarge. Et d’ajouter : « Certains éleveurs ont leurs poulaillers vides depuis plus d’un an. »
Recharger les poulaillers avec la peur au ventre
Tristan Poincloux a rechargé ses poulaillers avec la peur au ventre. Il avoue que, moralement, c’est compliqué mais qu’il n’a pas le choix et qu’il faut continuer. « Je crains que l’élevage avicole français ne perde encore des surfaces de production. Les ateliers volailles un peu vieillissants dans des Gaec risquent de disparaître. Certains futurs éleveurs qui auraient pu se diriger vers l’aviculture risquent de s’en détourner face à ce risque sanitaire qui semble aujourd’hui être permanent. »
Des niveaux d’efficacité des vaccins très prometteurs
La vaccination pourrait être une bonne solution pour limiter les abattages et les mesures de dépeuplement. Cinq États membres ont effectué des tests expérimentaux sur des vaccins contre l’IAHP dont les résultats sont attendus en 2023 : France (canards), Pays-Bas (poulets), Hongrie (oies), Italie (dindes), République tchèque (oies). « Le vaccin est un outil qui a sa pertinence mais qui ne va pas tout révolutionner. L’expérimentation réalisée en France sur du canard est très encourageante », indique Pierre Aubert, chef du service des actions sanitaires à la DGAL. Le ministère de l’Agriculture a donc lancé un appel d’offres le 17 avril pour la fourniture de 80 millions de doses de vaccins contre le virus IAHP autorisés pour les espèces canard mulard et canard de Barbarie. Ce stock de vaccins pourrait être disponible à partir de septembre-octobre pour le canard. « Les niveaux d’efficacité des vaccins en canard, poulet et pondeuses sont très prometteurs », juge François Landais, vétérinaire du groupe Anibio. Tristan Poincloux rebondit : « Cela nous donne un peu d’espoir. » Mais si la solution est réelle, sa mise en application est encore loin d’être actée. « La mise en place de la vaccination entraînera des restrictions au commerce de certains pays. Une situation qui profiterait à de gros pays exportateurs dont 2 déclarent être indemnes d’IAHP ce qui est très étonnant car il y a des cas dans tous les principaux pays producteurs de l’UE », alerte Paul-Henri Lava, conseiller politique à l’Avec (filière européenne des volailles).
La vaccination n’entrave pas les échanges commerciaux entre pays de l’UE mais des restrictions sont possibles concernant le transfert d’animaux vivants. Les conséquences pourraient donc être désastreuses pour les entreprises d’accouvage et de génétique. « L’Organisation mondiale de la santé animale autorise la vaccination, il ne serait donc pas légalement possible de bloquer les exportations d’un pays ayant choisi de vacciner. Dans les faits nous savons que certains pays fermeront leurs frontières comme le Japon, la Chine, l’Inde ou encore l’Arabie saoudite. Nous ne savons pas ce que feront des pays comme le Royaume-Uni ou le Canada », confie Paul-Henri Lava. Et Pierre Aubert, de la DGAL, d’ajouter : « Nous devons être prudents et pédagogues car nous sommes observés. C’est le moment du poker menteur. Le premier pays européen qui va vacciner a de grandes chances de voir ses exportations diminuer fortement ce qui profiterait à d’autres pays producteurs de volailles de l’UE qui prendraient automatiquement les marchés. » Le directeur général de Galliance conclut : « Nous ne pourrons pas vacciner tant que ces doutes sur les répercussions pour l’export ne seront pas levés. »
La filière ne pourra pas supporter seule le coût de la vaccination
L’interprofession de la volaille de chair est favorable à la vaccination contre le virus influenza aviaire en palmipèdes. Il nous faut maintenant obtenir des garanties et être sûrs que certains pays ne bloqueront pas leurs frontières. Vient ensuite la problématique du coût de cette vaccination. La filière ne pourra pas supporter seule le coût et le suivi de la vaccination, l’État doit absolument nous aider. Nous devons réfléchir à un dispositif de « dédensification » dans les zones les plus touchées mais nous devons mettre en garde les pouvoirs publics des mesures de ce type : si l’architecture réglementaire n’existe pas et si les compensations économiques, pour tous les maillons, ne sont pas mises en place, ce genre de dispositif ne fonctionnera pas. Il y a aussi urgence à protéger nos sites stratégiques de reproducteurs qui détiennent notre patrimoine génétique. C’est une priorité car c’est grâce à eux que nous pouvons sécuriser notre capacité de reprise de production après des épisodes comme en 2022 où 25 millions de volailles ont été touchées par le virus. Jean-Michel Schaeffer, président d’Anvol