Alors que les cours des intrants ont amorcé une certaine détente, Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie, a récemment appelé à la renégociation sur les tarifs alimentaires. Du côté des responsables de la profession, la pilule ne passe pas. « Son message a été perçu comme destructeur dans les campagnes. Si on veut garder des jeunes dans le métier et installer encore, on ne peut pas prendre du pouvoir d’achat sur le revenu des agriculteurs. Au contraire, le devoir de notre nation est de protéger son agriculture pour conserver sa souveraineté alimentaire, plus que jamais incontournable dans le contexte géopolitique actuel et à venir », a démarré, incisif, Didier Lucas, président de la Chambre d’agriculture des Côtes d’Armor.
Baisse légère des intrants
Accompagnés de Paul Auffray et Jean-Pierre Clément, élus en charge des « rendez-vous Éco » organisés, mardi 13 juin, à Plérin, le responsable a tenu à revenir sur la « situation réelle » des exploitations alors que les prix agricoles, notamment du porc, du lait ou de la viande bovine sont actuellement hauts. « Des prix élevés aux producteurs qui ne veulent pas forcément dire que la rentabilité est au rendez-vous dans les fermes car nous avons aussi subi des hausses de charges jamais vues auparavant », a noté Paul Auffray. Analysant les courbes tirées jusqu’en mars 2023, Nathalie Le Drezen, de la Crab, a effectivement confirmé un recul du prix des intrants nécessaires à la production agricole sur les derniers mois : engrais, aliments du bétail, énergie… « Mais, après l’explosion inflationniste, ces baisses sont légères et les cours restent très supérieurs à leur niveau d’avant 2021, impactant toutes les filières », a-telle commenté. « Les cochons qui sortent aujourd’hui de chez nous ont consommé de l’aliment à 400 €/t en 2022 », ont illustré les deux éleveurs porcins autour de la table.
On ne peut pas prendre du pouvoir d’achat sur le revenu des agriculteurs
Du découragement
Malgré des résultats en moyenne meilleurs en 2022 dans les exploitations, les responsables pointent une situation fragile. « Élevages, légumes… il y a un décrochage de toutes les productions à main-d’œuvre. On ressent une forme de découragement face à l’incertitude économique mais aussi face à la pression sociétale et médiatique. Ainsi, c’est difficile de susciter des vocations », a confié Paul Auffray. Face au signe « très inquiétant » de la réduction des volumes dans toutes les filières, de la baisse de la dynamique agroalimentaire française à l’export et de l’explosion des importations. Jean-Pierre Clément a terminé en déplorant la prise de position court-termiste d’un gouvernement qui s’assoit sur la souveraineté alimentaire.
Triste recul de la production
« Veut-on que la France devienne un vaste champ de blé et de vigne ? », interroge Paul Auffray. « Contrairement à ce que raconte le récent rapport de la Cour des comptes, l’élevage est indispensable en Bretagne pour la cohérence agronomique, l’emploi agroalimentaire et la densité de la vie sociale dans les villages… Dans les plaines céréalières, il n’y a plus aucune vie, plus aucune activité. » Reste que la baisse de la production est bien là, enclenchée et inquiétante, note Didier Lucas. « Sachant que l’autosuffisance alimentaire française ne se fera pas dans d’autres régions, comment arrêter l’hémorragie ? »
Devant l’évidence, le président de la Chambre d’agriculture acte à regret une perte incontestable d’élevages. « Essayons au passage de profiter de cette triste tendance pour restructurer les exploitations en cherchant à gagner en cohérence foncière, en les rendant un peu plus autonomes, en développant davantage de lien au sol… »