1942, à cause de la guerre, le Musée des arts et traditions populaires de Paris dispose de moyens limités pour mener des enquêtes d’ethnologie. Filmer et photographier c’est onéreux. Une préférence est donc donnée à l’intervention de graphistes recrutés localement, capables de représenter les gestes et les outils des artisans. Ils sont formés à une approche scientifique afin que leur travail ne soit ni militant ni politique. L’un d’eux, Daniel Lailler, dit « Dan », un Nantais de 23 ans, formé aux Beaux-Arts, ne dispose que de cinq jours pour dépeindre le village « traditionnel » de Mayun.
L’arrivée au village
Mayun est une île peuplée de 700 habitants, située au nord de la Brière. Dan s’y rend pour rencontrer les vanniers aux savoir-faire réputés. Leurs paniers — faits de bourdaine et de châtaignier et au style unique — sont appréciés en Bretagne nantaise et morbihannaise. Ils s’exportent aussi par milliers à Paris et vers l’Allemagne, la puissance occupante. Dan tient un journal de route. « Samedi 29 août 1942. Départ de Nantes. Arrivée à Pontchâteau. Je gagne en vélo La Chapelle-des-Marais… ». Il va laisser une trace écrite du petit monde vannier de Mayun, ainsi que des croquis et quelques photographies.
Une période charnière
À Mayun, la vannerie est l’affaire des hommes. Ils sont fiers de leur renommée et aussi de leur talent de conteurs. Dan met en scène dans son journal les familles Bodet, Lelièvre, Dreno, Bellio, Broussard, Roussel… Il faut épater ce jeune citadin qui parlera à Paris du village. Il faut saisir cette opportunité de voir consigner le « bien-faire » du panier à Mayun. Rien ne sera plus comme avant. Les chantiers Penhoët de Saint-Nazaire et les forges de Trignac ont attiré la main-d’œuvre briéronne hors du marais. Avec la guerre, les jeunes hommes se font maintenant rares à Mayun.
La vie et rien d’autre
La vannerie, comme ailleurs l’agriculture, n’était pas seulement une source de revenus ou l’expression d’une excellence technique : c’était la vie. On entrait dans ce monde, enfant, par une relation forte avec son père. La vannerie permettait les premiers revenus. La participation au ramassage de la bourdaine en forêt prenait la forme d’un voyage initiatique. Ces excursions entre père et fils pouvaient durer plusieurs jours. De temps à autre, on se rendait à pied de l’autre côté de la Vilaine en empruntant le bac à la Roche-Bernard. Les jeunes étaient progressivement admis dans le monde des hommes, qui le soir se retrouvaient en groupes pour tresser, chanter, conter, boire et commérer.
Retour vers le futur
Dan Lailler a réalisé 23 études sur l’artisanat traditionnel en Bretagne et 3 en Vendée. Il est devenu en 1950 conservateur du Musée d’Histoire et de la bibliothèque de Saint-Malo.
La commune de la Chapelle-des-Marais organise, depuis 2003, le festival de la vannerie et du patrimoine. Les vanniers de 1942 seraient honorés de voir leurs descendants célébrer le panier de Mayun. La survie de cet artisanat passe par de nouvelles vocations.
Roger Hérisset, docteur en ethnologie
Mayun, il y a 80 ans, un village vannier
Le journal de route de Dan Lailler sert de support à une conférence, le samedi 22 juillet, à 15 h, à l’occasion du festival de la vannerie et du patrimoine qui se tiendra les 22 et 23 juillet 2023 à la Chapelle-des-Marais, au village des chaumières de Mayun. Au programme : animations, démonstrations et vente de vannerie…