Dossier technique

Des agriculteurs bretons planchent sur la volatilisation de l’azote

Les Chambres d’agriculture de Bretagne et l’association Air Breizh mènent un projet visant à mieux valoriser les effluents d’élevage tout en limitant les fuites d’azote par volatilisation, depuis la stabulation jusqu’à l’épandage.

17079 hr - Illustration Des agriculteurs bretons planchent sur la volatilisation de l’azote
Le projet ABAA prévoit une démonstration de matériels d’épandage peu émissifs par an dans chaque département breton pour sensibiliser les acteurs de terrain et vulgariser les bonnes pratiques.

« L’ammoniac (ou NH3) est un composé chimique qui peut être émis par les déjections animales et les engrais minéraux », introduisait Lisa Bille, conseillère agronomie pour la Chambre d’agriculture, lors d’une journée de démonstration de matériels d’épandage à Hillion en juin dernier. Ainsi, en 2020, la région Bretagne pesait pour 18 % des émissions d’ammoniac françaises, et 99 % de ces émissions sont d’origine agricole (source ISEA v5 2020, Air Breizh). « Dans l’air, l’ammoniac peut se recombiner avec les oxydes d’azote ou de soufre issus du trafic routier ou de l’industrie donnant lieu à la constitution des fameuses particules fines. Respirées, ces dernières sont reliées à des risques pour la santé. Or au printemps, on constate que les seuils réglementaires sont malheureusement souvent dépassés. Un Plan national a été lancé en France pour réduire les émissions d’ammoniac et les particules fines. »

21 agriculteurs finistériens pour un projet de quatre ans

Dans ce contexte, en partenariat avec l’association Air Breizh en charge de la surveillance de la qualité de l’air dans la région, les Chambres d’agriculture de Bretagne développent le projet européen ABAA (pour Ammonia Brittany air ambiant). S’étirant sur une période de 4 ans (septembre 2021 – septembre 2025), ces travaux s’intéressent à la réduction des émissions d’ammoniac d’origine agricole. Dans la pratique, 21 agriculteurs, 7 Cuma et 2 ETA du secteur de Brest (29) participent à l’étude. « L’objectif est de développer une méthode, d’identifier des outils et pratiques – permettant de réduire les émissions – facilement disponibles pour l’ensemble des acteurs sur le terrain », explique Léna Oddos, chargée d’étude gestion des sols et fertilisation à la Chambre d’agriculture, qui coordonne les travaux.

L’objectif est d’enfouir rapidement car le gros des émissions a lieu dans les 6 heures après épandage.

Dans le cadre du projet, un diagnostic d’émission est réalisé sur chaque exploitation (voir encadré). « Chez chaque éleveur, le but est d’identifier les leviers principaux pour ensuite diminuer les émissions. La suite du travail est à la fois collective, en groupe, et individuelle. » Sur la même idée, pour chaque Cuma ou ETA, un diagnostic de réalisation des épandages est également mené. Les premiers résultats sont en cours d’analyse. Suite aux questionnements des membres du groupe, des essais sont également mis en place sur l’impact du matériel d’épandage sur les pertes par volatilisation, sur l’absorption d’azote et le rendement des cultures (sur maïs et colza et plus tard sur prairie). « Il faut garder à l’esprit que le gros des émissions a lieu dans les 6 heures après l’épandage. Enfouir rapidement est donc important. »

Vers des matériels d’épandage peu émissifs

Le recours à du matériel d’épandage peu émissif est bien sûr plébiscité : injecteurs, enfouisseurs, rampe à patins, pendillards… « Ces équipements sont déjà présents dans les campagnes bretonnes. Mais il faut avancer pour généraliser leur utilisation dans les territoires et mieux prendre en compte les conditions météorologiques au moment des chantiers. » Un suivi sur les différents équipements a été réalisé au printemps 2023 et sera réitéré au printemps 2024. « En collaboration avec la Fédération des Cuma de Bretagne, nous cherchons ainsi à mieux caractériser l’efficacité des différentes solutions technologiques en fonction du contexte : sol travaillé, sol sec ou humide, sol en pente, sol caillouteux… »

Il faut généraliser l’utilisation de matériels d’épandage peu émissifs dans les territoires

Un des enjeux sur l’équipement est le remplacement des tonnes à lisier équipées de buses. Pour de petites Cuma aux volumes d’épandage restreints, l’investissement est très voire trop important. « Il y aura probablement davantage de délégation de chantiers aux ETA demain. » Les questions du débit de chantier et de l’organisation collective locale sont aussi posées. Avec des calendriers d’épandage très restreints, comment peuvent s’organiser les acteurs de l’épandage (ETA, Cuma, agriculteurs) pour, à terme, ne pas intervenir lors des journées les plus « volatilisantes » ? « En gros, ces journées les plus à risque sont chaudes, ventées et avec peu d’humidité dans l’air… Soit à peu près les mêmes conditions que pour l’évaporation de l’eau », précise Léna Oddos. Au contraire, un jour de légère bruine va limiter le phénomène de volatilisation. Différentes études ont ainsi montré que la perte d’azote par volatilisation pouvait atteindre 50 u / ha en conditions météo défavorables. Un gaspillage préjudiciable à la fois pour l’environnement et pour le portefeuille de l’éleveur.  

Fréquence de raclage et concentration d’ammoniac en bâtiment

Outre le chantier d’épandage en lui-même, deux autres points de questionnement sur lesquels on manque de données ont été identifiés concernant le phénomène de volatilisation. « D’abord, nous étudions l’impact de la fréquence de raclage en bâtiment sur les concentrations. Dans deux fermes équipées de capteur par tube passif par Air Breizh, nous allons faire varier la fréquence de passages des racleurs sur plusieurs semaines, en été et en hiver, et relever la concentration d’ammoniac », explique Léna Oddos. Ensuite, un travail sur le broyage et brassage des lisiers en hiver va être mené, toujours avec Air Breizh, pour accumuler des données.

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Injecteurs, enfouisseurs, rampe à patins, pendillards… Les fabricants (ici Jeantil) ont développé de nombreuses solutions techniques pour limiter la volatilisation à l’épandage.

Pour réduire les pertes d’azote, les éleveurs peuvent mener des actions. « L’intérêt de la couverture des fosses à lisier est bien connu. Nous menons un travail pour identifier les aides possibles à l’investissement. » D’autres leviers encore existent dans la lutte contre les fuites d’azote dans les élevages. « Il est possible de travailler sur l’équilibre des rations alimentaires pour limiter la quantité d’azote dans les déjections », cite par exemple la conseillère. « Favoriser le pâturage, en allonger la durée, est aussi un moyen de réduire les émissions puisqu’on ne passe plus par les cases bâtiment et stockage. Ou encore insérer des légumineuses dans la rotation. »   

Déployer les bonnes pratiques

Enfin, à partir des informations issues des travaux avec le groupe pionnier, le projet ABAA comporte également un volet « communication » visant à vulgariser les bonnes pratiques pour réduire les émissions et le lien entre ammoniac et particules fines. Une démonstration de divers matériels peu émissifs est ainsi organisée une fois par an dans chaque département breton pour sensibiliser les acteurs de terrain à la problématique afin de faire évoluer les pratiques. À l’avenir, un parcours de formation sur le sujet va également être développé à destination des agriculteurs. 

Nouvel OAD pour l’épandage primé et présenté au Space

Concernant les diagnostics d’émission réalisés sur chaque exploitation, la première partie s’intéresse aux bâtiments et aux édifices de stockage des déjections. « Nous extrayons généralement la partie ammoniac et gaz à effet de serre des outils GEEP en ateliers porcins et Cap2’ER en ateliers bovins (qui est en train d’être adapté pour la volaille). » Pour la seconde partie concernant l’épandage, il n’existait pas de relevé de données spécifiques : Syst’N, outil d’évaluation des fuites d’azote vers l’environnement, a d’abord été utilisé. « Mais nous basculons vers le simulateur AgrivisioN’air, développé par la Chambre d’agriculture et Air Breizh, et testé depuis mars 2023 par le groupe d’agriculteurs du projet, qui permet d’estimer pour les trois jours à venir selon la date du chantier d’épandage les pertes d’azote par volatilisation en fonction du type de produit (effluents, engrais), du matériel, du délai d’incorporation et de la météo. » Grâce à ce nouvel OAD, disponible sous forme d’appli sur Smartphone, les données à l’épandage peuvent être enregistrées et une synthèse sur l’année ensuite obtenue « afin de déterminer où il y a des marges de progrès ». Présenté au Space sur l’Espace pour demain animé par le réseau Chambres d’agriculture, cet outil – récompensé de deux étoiles aux Innov’Space 2023 –  devrait être accessible à tous dans la foulée.


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